Un dimanche de juin, le seul qui exprime toute la quintessence du site, un jour de compétition à Lieoux.
Les quarante motards se sont un à un alignés sur la grille, en armures bigarrées, casqués, prêts à se battre contre la terre. Par petites accélérations intempestives, ponctuelles, répétées, ils chauffent entre leurs jambes leurs belles mécaniques. Les sons produits sont dantesques, pareils à un essaim de gros bourdons déchaînés. Les vibrations envahissent les corps, remontent le long de l’échine, se mêlent aux frissons, au stress. Ne pas manquer son envol. Le départ est imminent, l’ordre est donné. Pleins gaz, débrayage complet, frein avant serré, la moto hurle et la grille s’abaisse…
C’est parti. Bien ajuster sa traction, son corps, son embrayage et son accélération. En joute côte à côte, les adversaires se toisent, se mesurent. Des volutes de terre sont projetées dans tous les sens. Sur douze mètres de large, la ligne de départ est avalée en trois ou quatre soubresauts. Ne pas cabrer et laisser le soleil à sa place. Au bout, il n’en restera plus qu’un. La piste s’étrécit, s’élève, oblique légèrement à gauche et, avant la première épingle à droite qui amorcera la première descente, il n’existe plus qu’une trajectoire idéale, une ornière princière creusée de longue date. Il faut y parvenir le premier, communier avec sa machine, l’argile et vaincre les éléments. Le circuit de Lieoux est un modèle du genre.
Le long des barrières en contrebas du circuit, les spectateurs assistent médusés au bruyant défilé de ces petites bêtes qui s’invectivent, se piquent, tournoient, décollent et s’envolent. La vue d’ensemble est imprenable, tout le tracé d’offre au champ visuel. Aux images, s’ajoute le son et l’odeur. La cacophonie est indicible, cela sent l’huile et l’argile. 1624 mètres au tour, seize virages se succèdent dont six épingles, seize sauts, quatre tables : les compétiteurs les plus adroits y enchaînent les bosses avec une dextérité ahurissante, préférant côtoyer le ciel, rebondissant de la première à la seconde, sans toucher le sol, accompagnant des genoux l’écrasement des amortisseurs de leurs machines . Le dénivelé du parcours tracé sur le coteau est démentiel. Inlassablement, la piste monte, redescend, descend encore, puis remonte. Sur un tel toboggan, les pilotes se cramponnent sur leurs guidons, se campent sur leurs jambes, se couchent dans les courbes, se redressent et s’enorgueillissent.
Lieoux, une petite commune si tranquille à quelques encablures de la capitale commingeoise. Sa décharge, son circuit. Peu ou prou de nuisances. Repaire de passionnés, le terrain de motocross a été dessiné au début des années 1980, un tracé naturel écrit à flancs de coteau, à coups de bulldozer dans la terre argileuse. Depuis près de quarante ans, les adeptes de moto cross s’y époumonent, apprennent et les passages de roues de leurs machines ont esquissé, un à un, des millions de fois répétés, les trajectoires absolues. La discipline y a déjà écrit quelques belles pages de son histoire. Lieoux accueille chaque année, « selon ce que la fédération veut bien attribuer à l’organisation », en juin, quelques incontournables manches des championnats pyrénéens ou nationaux. Le Moto Club du Comminges existe depuis 1947, il est présidé depuis 2012 par Frédéric Vigny, un champion lui aussi dans son genre. L’homme a tout gagné. ll est resté passionné, au service de sa passion, il a refilé le virus à ses deux fils lancés à leur tour dans la bagarre. Du moto cross à Lieoux, c’est lui qui sans doute en parle le mieux. « Même si on a eu la chance d’organiser à Lieoux le championnat de France MX2 en 2012, le championnat de France junior en 2013, de ces juniors qui sont ensuite devenus des élites, il faut toujours se battre pour obtenir de telles affiches. On projette d’ici quelque temps, peut-être 2021, d’y organiser aussi une épreuve de supercross. Il y a toujours eu de belles courses sur notre terrain. Le circuit est large (8 à 12 m) et varié avec beaucoup de dénivelé, argileux, pas évident à piloter lorsqu’il a beaucoup plu. Le club, les membres bénévoles l’entretiennent tout au long de l’année, la mairie de Saint-Gaudens nous donne pour cela ponctuellement un coup de main. La piste reste ouverte à quiconque est licencié, d’où qu’il vienne, tous les 3èmes et 4èmes jeudi de chaque mois ». Et puis, récréation ou re-création, une école de pilotage devrait prochainement ouvrir les portes d’un paradis de sensations dans un bruit d’enfer. Alors si votre cœur est bien accroché et qu’il vous en parle….