La pandémie que nous avons à affronter n’est pas la première que connait notre région. En 1884, une épidémie de choléra s’était propagée dans quelques petits villages du Comminges notamment dans le Luchonnais. Grace aux recherches historiques de Daniel Gauchon, habitant érudit demeurant à Trébons de Luchon, nous allons pouvoir nous replonger dans cette fin du XIX siècle et comprendre que finalement les choses n’ont pas tellement changé.
Daniel Gauchon est un ancien inspecteur de l’éducation nationale à la retraite qui a terminé sa carrière comme directeur adjoint de l’enseignement en Nouvelle-Calédonie. Il consacre une partie de ses loisirs à explorer l’histoire des vallées d’Oueil et de Larboust, entre autres
1884 – Choléra et solidarité
Face à une nouvelle épidémie de choléra, la solidarité apparaissait déjà comme l’arme la plus efficace face à une maladie qui s’était propagée dans quelques petits villages du Comminges entre Milhas et Soueich mais qui avait aussi eu des répercussions sur le tourisme autour de Bagnères de Luchon.
A cette époque où Louis Pasteur mettait au point le vaccin contre la rage, les débats scientifiques sur la transmission du choléra alimentaient les réflexions du corps médical. Pour le médecin qui relate le développement de l’épidémie dans la vallée du Ger, il s’agissait du déplacement d’une nuée cholérique présente dans l’atmosphère. Certes cette théorie peut paraître étrange, mais elle trouve aujourd’hui un écho surprenant dans la mesure où le président de l’Association Climatologique de la Moyenne Garonne annonce avoir lancé une étude sur le lien entre la propagation du coronavirus et le taux d’humidité dans l’air
La solidarité pour vaincre le choléra et tous les autres fléaux
En 1884, le choléra arrive à Toulon par le bateau La Sarthe en provenance de Saïgon. Il gagne ensuite rapidement Marseille et Arles. C’est la cinquième épidémie de choléra depuis le début du 19ème siècle. Elle provoquera un peu plus de 3000 décès dans la ville de Marseille.
Restée pour l’essentiel dans le Sud-Est de la France, elle a notamment touché Carcassonne où elle fit 162 victimes, davantage qu’à Toulouse (73). Les traitements étaient fantaisistes : se tenir au chaud, rentrer chez soi de bonne heure, éviter la bière jeune, prendre un demi-verre d’huile associé à un vin «généreux»… La saignée était recommandée, mais les sangsues étaient en nombre insuffisant… Déjà la pénurie de traitements !
Face à ce nouvel épisode de choléra, Louis Combet, Médecin de la Faculté de Montpellier, et conseiller municipal de Lyon, publie alors une petite brochure où il fait part de ses analyses et de ses propositions fondées sur son expérience dans la lutte contre le choléra à Nîmes en 1865…
Même si on peut s’interroger sur la pertinence des remèdes du bon docteur Combet, entre purification par le feu et potion magique, on lira dans ce texte quelques réflexions philosophiques qui, en avril 2020, sont toujours d’une actualité brûlante… On en trouvera ci-dessous quelques extraits.
« Tâchons d’être tous un peu plus dignes du nom d’homme, et ne nous laissons point aller à ces frayeurs exagérées et bêtes qui arrivent à suspendre à la fois le commerce et l’industrie, aussi bien que la vie d’un peuple !
Dès que le fléau se déclare dans un pays, on doit soir et matin allumer de grands feux que ce soit avec le bois ou le charbon de terre. La flamme dévore les insectes qu’elle attire et décompose les miasmes en gaz inoffensifs.
On fait évaporer dans les maisons du vinaigre camphré. On porte sur soi un flacon de sel de Mindérérus ou d’alcool camphré, que l’on flaire de temps en temps. On mange une nourriture aillacée et épicée.
On reste sobre dans ses habitudes, on évite les assommoirs, les brasseries, les boissons glacées et les excès de tous genres, de tous genres, entendez bien jeunes gens, souvent entraînés à la débauche par de vieux viveurs !
[En cas de maladie]… Tout d’abord, envoyez chercher un médecin ; mais, en attendant son arrivée, voici ce qu’il importe de faire : lavements, infusions chaudes (fleurs de bourrache et menthe additionnée d’une petite cuillerée de rhum par grande tasse), frictions, cataplasmes, potions aromatiques légèrement laudanisées (infusée de germandrée et bourrache, teinture de cannelle, Rhum vieux, Liqueur d’Hoffmann… )
La SOLIDARITÉ, cette grande loi de la nature, que méconnaissent trop les hommes, peut seule nous guérir du choléra comme de tous les autres fléaux. Que nul ne se sauve, poussé par la peur et l’égoïsme; mais que tous s’entraident fraternellement, dans la cité frappée par le fléau, pour le détruire. »
Certes cet épisode cholérique de 1884 peut paraître fort anecdotique au regard du nombre de victimes mais il s’inscrit dans ces grandes épidémies qui depuis l’Antiquité ont marqué la vie des femmes et des hommes…
Français, Anglais et Espagnols avaient déserté Luchon
Certaines régions ont souffert de manière indirecte, comme on peut le lire dans le registre des délibérations du conseil municipal de la petite commune de Oô en plein cœur des Pyrénées.
En ce temps là, le tourisme pyrénéen était déjà très actif, en particulier autour de la station thermale de Bagnères de Luchon où le chemin de fer était arrivé en 1873. Dès le début du 19ème siècle, pour accueillir les touristes, un particulier avait même construit une baraque et une barque au Lac de Séculège (appelé aujourd’hui Lac d’Oô), lac de montagne à 1500 m d’altitude auquel on accédait, et on accède toujours, par un petit sentier après une heure de marche.
En 1833 la commune de Oô avait racheté la baraque et la barque et elle y avait mis un « fermier ». Elle avait ensuite fait construire en 1859 une hôtellerie mais il fallait faire face aux aléas des crues qui détruisaient régulièrement le pont permettant d’y accéder, ainsi qu’à une concurrence qui apparaissait déjà comme un enjeu économique majeur… Et puis, en 1884, le fermier a dû subir les conséquences du choléra, même si le préjudice reconnu par le conseil municipal n’a pas été aussi important qu’il le réclamait !
Le registre des délibérations du Conseil municipal de Oô du 8 novembre 1884 rend compte de cette situation :
« Monsieur le Président communique au Conseil une lettre en date du 15 octobre dernier formulée par M. Laurens Jean-Marie fermier de l’hôtellerie du Lac de Séculège [Lac d’Oô], lettre par laquelle le sieur Laurens demande une réduction de 1500 fr sur le prix du fermage de l’année courante qui s’élève à 4375 fr
Le Conseil, considérant que la saison d’été 1884 a été gravement atteinte dans son importance à cause de l’épidémie cholérique qui a sévi sur plusieurs points de la France,
Considérant que cette épidémie a éloigné de la station thermale de Luchon non seulement beaucoup de Français mais encore la totalité des étrangers notamment les Anglais et les Espagnols qui avaient coutume d’arriver en grand nombre, ce qui doit avoir empêché le fermier d’effectuer les recettes qui se réalisent dans cet établissement pendant une année ordinaire,
Considérant qu’il importe à la commune dans l’intérêt des adjudications à venir de dégrever dans une juste proportion le fermier actuel pour des pertes qui résultent d’un cas purement fortuit,
Délibère : une réduction de 400 fr sera accordée au sieur Laurens sur le prix de son fermage de l’année 1884 et un crédit de pareille somme sera ouvert au budget de la même année pour couvrir ce déficit. »
Une suite sur un prochain article ….
Petite République.com remercie monsieur Gauchon pour cet article qui nous permet de mettre en perspective des événements et de les relativiser.