Insultes et violences envers les gendarmes, les policiers et les sapeurs pompiers ont occupé l’essentiel du temps au tribunal correctionnel de Saint Gaudens ce jeudi matin 18 septembre 2021. Des délits commis par trois personnes en différents points du territoire commingeois, à Aurignac, Saint Gaudens et Bagnères de Luchon.
Les trois prévenus, deux hommes et une femme, étaient tous poursuivis pour «outrage à personne dépositaire de l’autorité publique», l’une des trois l’était aussi pour rébellion, et la troisième pour un ensemble de motifs cumulés en trois circonstances différentes: vol, violence aggravée suivie d’ITT, usage de stupéfiants, ivresse publique.
«Policiers nazis, fachos»…
Le premier prévenu, sans antécédents judiciaires, 49 ans, a été approché le 17 octobre 2021 sur un marché par deux gendarmes (dont un jeune stagiaire) parce qu’il ne portait pas de masque, comme il en était fait obligation à l’époque. Il est convoqué au tribunal pour les avoir alors traités de «fachos», «policiers nazis», et pour avoir déclaré qu’il était «allergique aux bleus». Il explique dans un premier temps qu’il avait tenté de s’échapper lors de leur approche parce qu’il avait eu peur. Il a ensuite argué du fait que leur numéro matricule n’était pas visible, et enfin qu’ils ne lui avaient pas présenté l’arrêté préfectoral en vigueur. A la barre du tribunal, ce jeudi 18 novembre, il nie avoir tenu les propos insultants que les deux gendarmes présents confirment devant le juge. Ceux-ci ajoutent que leur mission était de s’assurer que le port du masque était respecté conformément à l’arrêté préfectoral, et ce dans un esprit de tolérance. Ils précisent le contexte «c’était dans un petit village, sur le marché, à la vue de tout le monde, il a cherché à nous décrédibiliser». Lors de l’instruction, des chalands ont témoigné avoir vu le prévenu partir en courant, «crier sur les gendarmes», «jeter son sac au sol de colère», et selon un témoin, leur avoir fait un doigt d’honneur.
«Vous ne servez à rien»…
Le second prévenu, 35 ans, deux condamnations pour usage de stupéfiants en 2021 et 2017, est poursuivi pour des faits d’outrages et rébellion. Le 6 mars 2021, sur un autre marché à l’autre bout du Comminges, il avait d’abord été invité à porter le masque. Croisé à nouveau sur ce même marché, toujours sans masque, il avait répondu aux gendarmes dans un langage fleuri («je m’en bats les c…….»), avant de refuser de les suivre, de désobéir ostensiblement en gardant les mains dans les poches, de s’énerver jusqu’à «s’approcher très près du visage» d’un gendarme, de proférer des insultes («vous ne servez à rien», «je n’aime pas votre métier»), puis de tenter de s’enfuir en enjambant une barrière, avant d’opposer une forte résistance doublée d’un comportement qualifié de narquois. Les gendarmes qui se sont sentis en danger devant un début de rassemblement de personnes qui leur étaient hostiles ont alors demandé du renfort. Devant le tribunal, le prévenu a reconnu les faits sans barguigner, mais sans toutefois fournir d’explications «je ne m’explique pas mon comportement, une mauvaise décision ce jour là, une perte de sang froid, les conséquences du confinement…».
Crachats de sang dans les yeux…
La troisième personne, une jeune femme de 28 ans, est selon l’expression consacrée «bien connue des services de police et de justice» depuis une dizaine d’années. Mais là, elle a comparu pour des faits qui remontent au 5 décembre 2020. Ils font plus qu’étonner la juge elle-même : «je n’ai jamais vu ça»! Le témoignage d’une policière, qui s’exprime posément, est suffocant : «Je prenais mon service quand les brancardiers sont arrivés. (La prévenue) était dévêtue ; en tant que femme, j’ai pris une couverture pour la recouvrir. Elle m’a craché du sang dans les yeux. Elle nous crache dessus systématiquement, que l’on soit brancardiers, policiers ou pompiers. Systématiquement, elle fait preuve de violence quand on vient l’aider»; la juge: «comment expliquer que vous vous en prenez aux gens qui veulent vous aider?» ; la prévenue a dit ne se souvenir de rien «je sais que je suis malade, c’est encore pire quand je bois de l’alcool (…) Je sais que j’ai un problème de violence à régler».
Insultes, crachats et violence exacerbée encore le 16 décembre 2020, quand elle assène un coup de bouteille lors d’une soirée à un homme qui voulait l’allonger sur un canapé alors qu’elle était ivre au point de ne plus tenir debout: traumatisme crânien et un jour d’interruption temporaire de travail pour le bon samaritain. Et lorsqu’au commissariat, on lui demandera pourquoi les cartes bancaires et carte d’identité de ses compagnons du soir sont retrouvées dans son sac à main, elle dira ne pas savoir.
Nouveaux débordements le 17 août 2021, quand les pompiers interviennent alors que la jeune femme est «passablement alcoolisée» et qu’elle menace de se suicider: insultes, coups de pieds (dans le bas ventre d’un pompier), insultes («connards, enc….!»), crachats (à nouveau dans les yeux).
Des prévenus aux conditions de vie précaires
Les trois personnes concernées vivent dans une situation de précarité avérée, assumée pour l’une qui la revendique comme un style de vie (marié, enfants majeurs, sans revenu autre que les petites ressources de sa femme «j’ai fini de payer ma maison, je me contente du minimum»). Entrepreneur dans le bâtiment, il a de gros problèmes de santé, «c’est très compliqué au niveau de mon métier, arthrose, becs de perroquet, 2 hernies discales ».
L’autre, célibataire sans enfants, au chômage, habite un véhicule aménagé ou chez des amis.
La troisième, abandonnée jeune par ses parents, placée en famille d’accueil, séparée de son mari, en instance de divorce, mère de quatre enfants et enceinte de 4 mois, elle n’est actuellement pas apte à travailler et ne déclare pas de revenus. Elle a fait plusieurs séjours en psychiatrie, elle fait l’objet d’un suivi médical depuis 2 ans et ne boit plus depuis qu’elle est enceinte. Elle a déclaré avoir un cancer pour lequel elle est suivie à l’hôpital toulousain de Rangueil.
Des forces de l’ordre et de secours qui finissent par s’interroger sur le sens de leur dévouement
L’avocat de l’une des parties civiles qui ne remet pas en cause «les difficultés personnelles lourdes» de la jeune femme, fait cependant observer que c’est «pour venir en aide aux personnes en difficulté que les sapeurs pompiers et les fonctionnaires de police acceptent de faire des sacrifices dans leur vie personnelle et prennent des risques dans leur vie professionnelle»: «il faut lui faire entendre (à la prévenue) qu’elle ne peut plus mordre la main qui se tend vers elle», un comportement qui a des «conséquences de plus en plus désastreuses pour des hommes et des femmes qui perdent le sens de leur dévouement». Ainsi, le pompier dont cet avocat défend la cause se constitue pour la premier fois partie civile, «la première fois et déjà celle de trop», «il est atteint physiquement pour avoir reçu 2 coups de pied, et psychologiquement car il part en intervention la boule au ventre», parce qu’il n’y a «aucune explication sur ce qui à l’instant T va déclencher le passage à l’acte» de l’agresseur, «la recrudescence des agressions n’est plus tolérable, c’est le sens de la constitution de partie civile» par le pompier concerné.
L’avocate d’un autre pompier intervenu lors de la tentative de suicide de la jeune femme fait chorus, faisant référence de manière générale à «des faits d’outrages et de violences de plus en plus violents», et plus spécialement au comportement de la jeune femme incriminée : «on (la prévenue) ne crache pas n’importe où, mais sur les yeux, source de crainte pour la santé du pompier qui a dû faire une batterie de tests et d’examens».
Des «dossiers parfaitement désagréables»
La procureure qualifie de «dossiers parfaitement désagréables» ceux concernant les outrages des deux hommes à l’encontre des gendarmes, doublés d’un fait de rébellion pour l’un des deux. Que le premier «avec les idées qui lui appartiennent tente de se défendre par le déni, c’est son droit le plus strict (…) mais la parole d’officiers de police judiciaire fait foi», confortée par «les témoignages d’ambiance» des habitants sur le marché. Elle demande un stage de citoyenneté ou la condamnation à payer la somme de 1000 € en cas de non exécution. La juge a suivi le réquisitoire de la procureure.
Quant au second, qui reconnait les faits reprochés, la procureure demande pour les deux motifs d’outrage et de rébellion, une peine de 105 heures de travaux d’intérêt général, ou 2 mois de prison en cas de non exécution. La juge a fixé la peine à 70 heures de travaux d’intérêt général, ou 2 mois de prison en cas de non exécution.
La jeune femme qui a déjà eu moult fois maille à partir avec les pompiers, la police et la justice pour vols, dégradations, violences, comparaissait pour la première fois devant le tribunal correctionnel pour des faits de «violence heurtante au sens physique –coups- et humiliante –crachats-(…) Autant pénalement que moralement, l’attitude (de la prévenue) est insupportable (…) Malgré tout, quand elle ne boit pas elle se prend en charge, elle comprend ce qu’on lui reproche et elle le mesure». La procureure demande une peine de 14 mois d’emprisonnement totalement assortis d’un sursis probatoire de deux ans. Le verdict de la juge: 16 mois assortis d’un sursis renforcé de 2 ans, l’obligation de suivre des soins psychiatriques, l’obligation de soigner son addiction à l’alcool, l’obligation de travailler ou de suivre une formation et l’interdiction de détenir ou de porter une arme pendant 2 ans.
Dans les trois cas, toutes les parties civiles ont été reconnues recevables.
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Trois affaires d’outrages, de rébellion, de violences, physiquement, psychologiquement, moralement insupportables pour des parties civiles, brancardiers, pompiers, policiers, gendarmes, représentants de services d’ordre et de secours dont la mission est de veiller sur la paix sociale et de venir en aide à des personnes en difficulté. Trois affaires d’outrages, de rébellion, de violences qui sont le fait de personnes en situation de précarité caractérisée et qui s’opposent à ce qu’ils perçoivent comme des contraintes ajoutées aux difficultés de leur vie quotidienne. Des auxiliaires de justice, magistrats et avocats, qui cherchent vaille que vaille, mais avec constance, l’équilibre introuvable entre la juste peine qui ne soit pas une voie sans issue pour les prévenus, et la nécessaire (même si elle peut paraitre dérisoire, voire symbolique) reconnaissance du dommage due aux victimes. Une certitude, les insultes et les violences en disent plus sur les auteurs que sur leurs victimes.