Pass, e-mail, glamour… Ces anglicismes qui viennent du français !
Les milieux prétendument modernes croient malin de parler franglish, sans savoir que ces mots sont souvent issus du français ou du normand.
Selon eux, le débat serait clos : l’anglais serait définitivement moderne ; le français incurablement ringard. « Eux « ? Les branchés, les vrais, et tous ceux qui espèrent l’être. Les professionnels de la pub, de la com, de la mode, du cinéma ; les dirigeants d’entreprise, les commerciaux et les informaticiens…
Les pôôôvres : s’ils savaient ! S’ils savaient qu’une bonne partie de ce vocabulaire qu’ils croient anglo-saxon est en réalité d’origine… tricolore. En voici un florilège (« eux » diraient best of).
Pass. Dans le genre « anglicisme qui n’apporte rien », celui-ci est bien placé pour décrocher le pompon, d’autant qu’il est officiellement promu par les plus hautes autorités de la République. Depuis quelque temps, en effet, le « passe », pourtant solidement attesté (passeport, passe-partout, etc) est écrit à la mode globish, que ce soit par la région Ile-de-France (le pass navigo) comme par l’Etat, du pass sanitaire au pass vaccinal en passant – horresco referens ! – par le pass culture.
E-mail. Que les branchés qui, par inadvertance, auraient commencé à parcourir cet article cessent ici leur lecture car ce qui suit risque de leur paraître par trop violent. Le sacro-saint e-mail, parfois prononcé mail, est le lointain descendant de… la malle-poste, cette voiture tirée par des chevaux servant à transporter le courrier. Ce mot-valise sera plus tard abrégé en « malle », puis gagnera au XIIIe siècle l’Angleterre, où il sera déformé en mail. Et c’est elle, évidemment, qui est à l’origine du verbe contemporain to mail lequel signifie tout bonnement « poster ». Aussi les Québécois – et un certain nombre de francophones – lui préfèrent-ils « courriel ».
Glamour. Nos précieux ridicules du XXIe siècle le savent-ils ? Glamour vient de… grammaire, qui ont de fait la même origine. On comprend facilement que le grec grammatikê, c’est-à-dire l’art de lire et d’écrire, ait abouti à l’ancien français gramaire (avec un seul m), puis au français moderne « grammaire » (avec deux m). Plus complexe est le cheminement qui a conduit de gramaire à glamour. Pour le saisir, il faut savoir que la gramaire désignait originellement l’étude du latin, soit une science réservée aux initiés, incompréhensible pour le commun des mortels. Une acception que l’on retrouve dans « grimoire » (livre de magie). C’est cette acception qui s’est exportée outre-Manche pour donner dans un premier temps l’écossais gramarye avec le sens de « sortilège permettant de changer d’apparence ». Et c’est cette modification d’apparence un peu magique qui a abouti à l’anglais glamour.
Interview a été introduit en France au XIXe siècle, sous l’influence britannique, pour désigner un entretien publié dans un journal. Le terme anglais n’est pourtant que la simple altération du terme de moyen français (XIVe-XVe siècles) entreveue, devenu notre moderne « entrevue ».
Challenge. Voilà sans doute le comble de la cuistrerie. Challenge est un mot français qui se prononce évidemment « chat-l’ange » mais que beaucoup articulent… à l’anglaise ! Issu du latin calumnia, « accusation », il a pris au fil du temps la signification d’épreuve sportive, de défi à relever (les amateurs de rugby se souviennent peut-être du « challenge Yves du Manoir »). Je propose donc à ceux qui préfèrent dire tchallènge d’appliquer cette règle à tous les mots français exportés dans les langues étrangères. D’énoncer « douche » à la norvégienne [dusj] ; « costume » à la grecque [koustoumi] ou « béchamel » à la polonaise [beszamel]. Bon courage !
Randomisé. Ce terme a connu un certain succès lors de l’épidémie de Covid pour désigner « un essai thérapeutique dont les participants sont répartis aléatoirement ». Or, ce dérivé de l’anglais random est l’héritier des locutions d’ancien français at randon, de randon (à toute vitesse, avec force). De là notre bon vieux verbe « randonner » qui, au XIIe siècle, avait le sens de « courir rapidement, impétueusement » – d’où la notion de hasard.
Briefing. On le devine : briefing est l’héritier direct de « bref », un terme d’ancien normand employé au Moyen Age pour désigner un court récit, un résumé, une liste, etc. Bien plus tard, pendant la Seconde guerre mondiale, il a été utilisé pour décrire une courte réunion pendant laquelle les aviateurs anglo-américains recevaient leurs dernières instructions avant une mission. Domination culturelle anglo-saxonne aidant, il a été repris par la suite dans le monde des affaires.
RETROUVEZ DES VIDÉOS CONSACRÉES AU FRANÇAIS ET AUX LANGUES DE FRANCE SUR MA CHAINE YOU TUBE
On se rassurera (peut-être) en se souvenant qu’au cours de l’Histoire, bien des anglicismes ont fini par disparaître corps et biens. Si vous souhaitez briller dans une soirée parisienne, je vous déconseille ainsi fortement de vous présenter comme un sporstman accompli, adepte du body-building et parfois tenté par le doping. Autre conseil d’ami : préférez le covoiturage au car-pooling et la navette au shuttle, même pour vous rendre au smallsupermarket. Croyez-moi : après avoir connu leur heure de gloire, ces anglicismes sont aujourd’hui complètement has been. Et c’est tant mieux.
Pour s’abonner à la lettre : Sur le bout des langues
Pour Suivre Michel Feltin-Palas : Page FB :