Le Café Débat à Chein-Dessus – Penser le territoire avec le CODEV de la Communauté de Commune Cagire Garonne Salat.
Ce lundi 19 juin fut un moment de réflexion particulièrement dense sur les enjeux de l’aménagement du territoire au café de l’épicerie Ferran de Chein. Au-delà de la douceur estivale et la lumière sereine émise par l’illumination de l’église de Chein la nuit tombante, le propos était particulièrement riche dans le partage du vécu des participants. Une dizaine de personnes dont deux conseillers municipaux, un ancien du village et ancien conseiller municipal, témoin précieux du «Monde d’avant», Denis Soudais, Danièle Dausseing, Thierry Cazedebat du Codev et quelques habitants de Chein ont nourri le débat par leurs expériences autant que leurs aspirations pour le «pays», ou «pais»: «pays parle mieux que le terme technocratique de territoire!» précisait un participant (sous entendant le pays de Comminges).
Extraits de l’enregistrement, les points clef du débat
Dresser un état des lieux de la situation dans notre pays:
En introduction, Thierry CAZEDEBAT, animateur du Groupe de Travail «Aménagement du territoire», pose brièvement le cadre. Missions et organisation du CODEV (Conseil de Développement), assemblée de démocratie participative constituée de citoyens bénévoles, mise en place par la Communauté de Commune Cagire Garonne Salat en 2017. Denis Soudais rappelle l’action menée par ce Groupe de Travail pour la réalisation du projet de voie verte (piste cyclable), entre Lacave et Roquefort. Le thème proposé pour cette réunion élargie était de questionner la notion d’«aménagement du territoire», dans le contexte de crise climatique, économique et sociale… que nous connaissons et qui nous appelle, sous le vocable de «transition», à un changement de modèle.
Thierry Cazedebat ouvre le débat et une discussion animée s’installe immédiatement:
En substance, il s’agit pour nous, citoyens, réunis dans le cadre de la démocratie participative et de ce groupe de travail dédié à «l’aménagement du territoire», de nous accorder sur une définition, une connaissance et une compréhension partagée, de ce qu’est et devrait être aujourd’hui, de notre point de vue, l’aménagement du territoire…ou plutôt, de notre «pays», pour reprendre la distinction essentielle évoquée d’entrée par un participant, entre «territoire» et «pays». Fonder une démarche sur un socle commun à construire ensemble, à partir des perceptions très diverses de chacun, selon son histoire, son âge, son origine géographique, sa culture, son vécu…
S’interroger sur : Pourquoi et comment aménager nos pays? Qui aménage (décide)?
– «On ne peut pas penser, aujourd’hui, l’aménagement du territoire de la même manière dont il a été pensé par l’État, dans les années 50, à l’aube des «Trente Glorieuses». Et peut-on s’accorder sur le constat que 70 ans de politiques d’«Aménagement du Territoire» autoritaire et centralisé (du désenclavement à l’arrachage des haies…) ont conduit…au déménagement de nos pays (effondrement démographique et économique, dépossession du pouvoir de décision, érosion des langues autochtones et du lien social…)? »
Réactions dans l’assemblée:
– «après, il faut être modéré quand a tout changé…»
TC : «Oui, mais l’idée est de répondre aux enjeux du moment dans la situation concrète où nous sommes aujourd’hui. Comment reconstruire ensemble localement, une compréhension et une vision partagées… et de nouveaux modèles fonctionnels et joyeux… Qu’est-ce qui nous manque le plus, de quoi avons- nous besoin prioritairement, aujourd’hui, dans « notre pays» pour bien y vivre. Comment habiter et aménager notre pays pour répondre aux enjeux et aux menaces du moment?
– «et aux urgences...»
La question a invité au constat de l’état des lieux aujourd’hui et la comparaison avec le Monde d’avant. Les anciens évoquent la vie communautaire des quartiers autrefois et la situation d’autosuffisance alimentaire:
L’assemblée : «Durant l’Occupation ici, nous ne manquions de rien!»
TC: – «Aujourd’hui notre système agro-alimentaire industriel n’assure pas la sécurité alimentaire, même pour nos pays ruraux, avec seulement quelques jours de réserve en cas de pénurie. Le risque de rupture alimentaire est très fort alors que nous sommes sur un territoire qui regorge de ressources et qui a toujours nourri les habitants. La monographie de l’instituteur de Chein en 1886 témoigne d’un système social et économique local performant, un génie paysan de l’aménagement du territoire et de la gestion des ressources naturelles communes (moulins et canaux d’irrigations, scieries et industries au fil de l’eau…) une agriculture nourricière avec des vergers, des cultures maraîchères, des céréales, du lin pour faire de la fibre qui était travaillée, comme la laine, dans des usines textiles locales… »
L’assemblée : «On a été moqué, mais il y a avait tout ce qu’il fallait sur la table…»
TC: «Il faut réfléchir ensemble, avec tout ce qui nous sépare, mais surtout ce qui nous réunit: un territoire et un devenir communs. De quoi avons-nous besoin aujourd’hui? A quoi devons-nous raisonnablement renoncer ? à partir de nos perceptions ici et non pas à travers, seulement une vision universaliste abstraite et globale qui nie toute dimension locale concrète. Comment reconstruire des modèles de vie communautaire et de vie sociale indépendants de la pression du Grand marché et de la délégation de la pensée et des solutions aux cabinets d’expertises?».
L’assemblée: « Sur le plan culturel, c’est flagrant notamment avec les Pronomades, les autochtones ne s’y reconnaissaient pas, par exemple quand ils sont venus à Chein avec un spectacle de haut niveau et une régie technique impressionnante, dans les sept personnes présentes dont deux conseillers municipaux les autres n’étaient pas de Chein!»
Question : «Quelles sont les urgences?»
TC: «A nous de les identifier. Elles sont économiques, sociales, culturelles et politiques: une situation d’abandon des terres en montagne, des quartiers et villages réduits à des cités dortoirs, résidences secondaires, maisons de retraites ou lieu de villégiature , la destruction des liens communautaires, elles sont écologiques avec l’emballement climatique, l’abanbon et la dégradation des ressources naturelles communes.
Assemblée : « Il y a un pouvoir de décision de plus en plus éloigné des citoyens et des pays, un pouvoir centralisé et invisible ».
TC: «Il s’agit de définir ce dont on a besoin pour satisfaire nos besoins fondamentaux. Les anciens aménageaient, produisaient et entretenaient les paysages en dehors de toute considération abstraite, idéologique, esthétique ou morale, par leur mode de vie paysan inscrit sur le temps long de l’Histoire, des connaissances empiriques et des compétences accumulées…. C’était une écologie pratique au quotidien du fait de la civilisation du geste, la main des êtres humains. Aujourd’hui c’est compliqué. Le paysan a été remplacé par l’agriculteur, seul sur son tracteur et ses machines, il y a la disparité , ceux qui habitent ici comme dans un pavillon à Fonbeauzard et les gens encore imprégnés des codes anciens de sociabilité , d’autres vont aller voir le Maire pour qu’on retire les cloches des vaches parce que ça fait du bruit ». Nous sommes passés d’un système communautaire où les gens étaient liés entre eux et au pays, à un système d’individus atomisés consommateurs obéissant à une offre extérieure créant une demande impensée, artificielle… pour qui le pays n’est qu’un décor, un objet de consommation.
Assemblée, nouvelle habitante: «Pour les nouvelles générations comme ma sœur et moi, nous avons l’habitude de fonctionner en solidarité avec nos amis. On ne fonctionne plus en réseaux d’amitiés, de relation aujourd’hui. Des gens qui arrivent aujourd’hui viennent aussi pour trouver du lien, avec des dynamiques, des pratiques solidaires, des idées…».
TC: «La Colonie de Juzet en est un exemple d’une offre créative d’économie et de sociabilité réelle, avec tous les réseaux d’entraide qui se développent. Ils viennent recréer ici ce à quoi nous avons délaissé»
Denis Soudais: «Même chez les gens de chez nous, beaucoup sont dorénavant dans l’idée de moins consommer, de moins polluer, s’entraider».
TC: «Le pouvoir d’achat a écrasé notre puissance d’agir. Donc il faut renouer avec notre pays, le lien culturel perdu, au pays et ses ressources, la proximité, les gens du pays, autochtones et nouveaux habitants, citoyens élus et non élus avec qui on va faire réseau pour reconstruire par la pratique et l’expérimentation, des solutions locales».
Autre intervenante: «Après le système est fait de telle façon que l’agriculteur qui vend ses produits à la Grande Distribution va se faire laminer avec les prix au raz des pâquerettes, et lui il sera subventionné par les fonds publics pour pouvoir survivre. C’est profondément humiliant. Il n’est pas considéré pour son travail, mais assisté dans sa fonction de consommateur d’équipements de production».
Assemblée: «Est-ce que cela pourrait commencer par l’école? Nos enfants, c’est l’avenir avec une sensibilisation par la proximité d’un jardin pédagogique, et la cuisine faite à côté de l’école et consommée le jour même , sans emballage, servie par la cuisinière, donne du sens à ce que l’on fait ingurgiter à nos enfants comme aux anciens dans les EHPAD. Cette exigence pourrait être une façon de mettre en place un réseau de production locale subventionnée, la subvention de la qualité de la nourriture conçue comme un investissement pour le futur de ces enfants autant que pour l’écologie environnementale et paysagère».
Assemblée: «Le tourisme de masse pourrait transformer nos montagnes en Luna Parc avec un impact lourd pour l’environnement comme la neige artificielle».
La discussion se prolongea actant sur l’échec historique des initiatives parachutées d’en haut comme par exemple ce qui pourrait advenir de « La Charte des Droits Culturels des personnes » qui après plusieurs années de préparation semble être au point mort ?
Assemblée «Aussi bien fondé qu’elle le fut cette Charte n’est pas l’émanation d’une demande locale, voir même observée avec méfiance ».
La réalisation collective d’un tableau AFOM (Atouts-Faiblesses-Opportunités- Menaces) a permis de synthétiser les éléments partagés à l’issue des discussions et d’identifier des pistes d’aménagements prioritaires. La soirée s’est achevée autour d’un pot gracieusement offert par Gilles FERRAN, le maître des lieux.
Le CODEV a à son actif plusieurs propositions suivies d’effet, notamment l’annuaire des producteurs locaux, la réalisation de la piste cyclable sur le tracé de l’ancienne voie de chemin de fer Boussens – Saint-Girons, et d’autres investigations en chantier.
Les membres du CODEV présents étaient :
Thierry Cazedebat, animateur du groupe de travail « Aménagement du territoire« , Denis Soudais, membre et Danielle Dausseing, Co-présidente du CODEV