Angelino Speciale, le potier aux mille vies

Le talentueux Angelino Speciale dans son atelier de poterie, Arts Magnoac.
Le talentueux Angelino Speciale dans son atelier de poterie, Arts Magnoac.

Angelino Speciale, penché sur son tour, « monte » une motte d’argile pâle entre ses mains sûres et fortes, dans son grand atelier lumineux, consacré à son art, la poterie. Avec maîtrise et patience, il transforme la boule arrosée d’eau en un vase gracile, d’une symétrie et d’une finesse parfaites. Toutes ses pièces sont des créations uniques, originales, d’une exceptionnelle beauté. Les couleurs révélées à la sortie du four, créées par lui avec des pigments minutieusement choisis, ajoutent une douceur sensuelle aux divers objets qu’il façonne, utilitaires ou décoratifs.

Il a fait de cette activité où il excelle, son métier, un projet préparé depuis son installation en 2017 à Monléon Magnoac, dans les Hautes-Pyrénées, à quelques encablures de Boulogne. Avec sa compagne Patricia, sculptrice d’argile modelée, ils ont ouvert en octobre dernier leur atelier-boutique Arts Magnoac, un lieu convivial dédié à l’art et à l’artisanat local. On s’y détend, on découvre ou on apprend, avec des cours et des stages, la pratique bienveillante des techniques, des matières, des savoir-faire de la céramique, la photographie, la peinture, et d’autres encore.

Mais Angelino Speciale a déjà vécu mille autres vies. Écoutons son histoire…

« Adolescent, j’aurais voulu être prof de sport, mais mes parents ont décidé que je serai chaudronnier comme mon frère. J’ai donc obtenu mon CAP de chaudronnier et j’ai passé un diplôme en développement de pièces chaudronnées sur ordinateur. Après l’armée j’ai repris mes études et j’ai passé un bac D. Le métier de kiné m’attirait, pour le contact avec les gens et le monde sportif. Mais un accident de voiture et les contraintes financières qui ont suivi m’en ont empêché. Comme j’adorais toujours le sport, je suis devenu éducateur sportif diplômé d’Etat et je suis parti à Marseille enseigner la plongée. Dans la foulée, j’ai passé un diplôme de biologie marine, afin d’expliquer aux gens ce que l’on voyait sous l’eau, le biotope, la faune et la flore marines, etc. Et comme j’adore la spéléologie, j’ai aussi proposé de la spéléo sous-marine. Pendant quelques années j’ai travaillé dans ce domaine, en étant enseignant puis directeur de centre, tout en navigant sur des bateaux avec lesquels j’emmenais des touristes en croisière dans la région. Pour l’INPP (Institut national de la plongée professionnelle), j’ai formé les Marins pompiers de Marseille et les Pompiers de Paris à la désincarcération sous-marine, apprentissage pour eux nécessaire en cas par exemple de crash d’avion en mer. »

La passion des voyages

« Tous les ans, après neuf mois de travail non-stop, je prenais mon sac à dos et je partais en voyage dans un coin du monde. Et à chaque fois, j’avais de moins en moins envie de revenir…

Et un jour, ce fut le déclic. C’était au milieu des années 90, après un voyage à Bornéo où j’ai vécu trois mois dans une tribu d’aborigènes nomades, avec lesquels pour manger j’ai chassé à la sarbacane, cueilli des végétaux, des fruits et des feuilles dans la forêt… c’était absolument extraordinaire. J’étais dans le train de retour pour Marseille quand arrive dans la travée une voyageuse enceinte. Elle demande à une dame dont le chien dort sur le fauteuil à côté d’elle, de bien vouloir la laisser s’asseoir. « Pas question, rétorque la dame, j’ai payé la place pour mon chien, il y restera. » Aussitôt bien sûr j’ai offert mon siège à la voyageuse enceinte. Mais cet incident m’avait convaincu : je ne pouvais pas vivre dans une société aussi individualiste, égoïste, matérialiste ! Je sortais d’une expérience où des gens qui n’avaient rien m’avaient tout donné, et là on était incapable de partager une place de train… »

Circumnavigateur

« J’ai décidé de partir. Pas sur un coup de tête non, mon projet a été réfléchi. D’abord, il faudra trouver du travail à l’étranger, mais aussi au retour, si retour il y avait. D’où l’idée de devenir infirmier. Je vivais sur mon bateau, et j’ai financé par mon travail de plongeur mes trois ans d’études. Je pars alors en Nouvelle-Calédonie, où j’achète un gros bateau à restaurer, juste avant les résultats de l’examen. Prévenu par téléphone que je l’ai obtenu, je me fais aussitôt embaucher à l’Hôpital de Nouméa, en néonatologie, pour les soins aux prématurés. C’était merveilleusement gratifiant de s’occuper de ces petits êtres fragiles, beaucoup de technicité aussi. Au bout de quatre ans, j’ai ouvert un cabinet libéral avec plusieurs infirmières salariées, et nous suivions ensuite ces bébés à domicile.

Un jour, un ami médecin m’a demandé de m’occuper d’une personne en soins palliatifs. Surpris, j’ai accepté. Et ça a bien marché. Du coup j’ai continué. Je prenais soin de ceux qui arrivaient et de ceux qui partaient, en quelque sorte j’intervenais au deux bouts du chemin de la vie.

Mais l’envie de bouger me titillait toujours. Au début des années 2000, confiant la gestion du cabinet aux infirmières, j’ai repris la mer pour de nouvelles aventures. J’ai fait le tour de l’Australie, puis de la Tasmanie je suis allé en Nouvelle-Zélande. Rêve de mon enfance, l’île de Pâques et ses moaïs me tendaient les bras. Remontant par les Australes j’ai atteint la Polynésie française. Et pendant six ans, tranquillement, j’ai parcouru ce paradis sur mer en remontant jusqu’aux Mariannes. Par Wallis et Futuna, les Vanuatu, les Nouvelles-Hébrides, je suis retournée en Nouvelle-Calédonie.

Tout au long de mes voyages la photographie a été ma passion première et le fil conducteur de ma vie. Mon premier contrat rémunéré je l’ai eu à 17 ans, à l’issue d’une formation au Canada. Un nouveau projet germait dans mon esprit. J’ai vendu mon cabinet de Nouméa et ouvert un studio photo qui a très bien marché. Mais la vie est un perpétuel changement, et j’ai fini par vendre le studio. Je suis reparti en mer, par le nord de l’Australie, j’ai voyagé jusqu’à la dernière île à l’est de l’arc Indonésien. De là, par le détroit, j’ai atteint Singapour, pour repartir en Malaisie côté Bornéo, où j’ai revu des gens de ma connaissance. Un petit saut aux Philippines, puis la Thaïlande, la Birmanie, le Laos, le Cambodge, le Vietnam, enfin la Chine et le Japon. C’était magique, avec des moments extraordinaires et d’autres moins bien sûr, car l’existence est faite de cela. »

Retour en France

Ayant entretemps obtenu en France un permis de pilotage de drones, Angelino fonde au Vietnam une société d’imagerie aérienne par drones civils. Beau succès à nouveau. « Un jour, des policiers sont venus me contrôler, déclarant que je n’avais pas le droit d’utiliser mes drones. Toutes les autorisations étaient délivrées, mais, argumentent-ils, pas celle de l’Armée. Et pourtant mes drones étaient civils. Mon matériel confisqué, j’ai dû fermer l’entreprise et quitter le Vietnam.

Me voilà à nouveau en France en 2017, prêt à rebondir sur un autre projet, et à ouvrir un nouveau chapitre de ma vie. » Au hasard des chemins, il rencontre sa nouvelle compagne, Patricia, artiste plasticienne qui crée des sculptures en argile modelée. Ils choisissent alors le Magnoac, s’installent dans une grande maison, et créent Arts Magnoac, leur beau projet commun.

« Le rapport à la terre est charnel, reprend Angelino dont les yeux bleus ont gardé un reflet d’océan Pacifique. Toucher la terre est une sensation primitive, archaïque, on doit s’y abandonner. Le corps et l’esprit s’adonnent entièrement à la tâche, il faut centrer sa motte de terre sur le tour mais aussi se centrer sur soi-même, ne pas laisser les pensées vagabondes interférer. Sinon on rate sa pièce. Les sensations qui me traversent quand je suis au tour sont pour moi zénifiantes, apaisantes. La poterie fait intervenir les sens, la créativité, les émotions. Elle fait du bien au gens qui la pratiquent.

Je suis un potier content, ma satisfaction est basée sur ce que je réalise et sur la transmission du savoir. J’aime apprendre aux gens les techniques et le savoir-faire du potier. C’est un métier ancestral, qui avait presque disparu et qui renaît avec vigueur. Beaucoup de gens s’y mettent de façon professionnelle. Et c’est très bien, moi je ne suis pas dans la concurrence mais dans l’émulation. »

Sur les marchés artisanaux, les poteries d’Angelino font sensation, elles sont enthousiasmantes, émouvantes, spirituelles, pétries avec les mains et le cœur. C’est la touche d’un talent rare et le public ne s’y trompe pas.

Les cours, stages et ateliers s’adressent à tous, tout au long de l’année. Renseignements et inscriptions https://artsmagnoac.fr/ ou 06 12 14 06 43.

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