Maire de Saman et polycultivateur depuis de nombreuses années en bio, Julien Lacroix soutient le mouvement protestataire des agriculteurs dans son ensemble. Il livre son analyse de la situation.
« L’exaspération et la colère qui s’expriment actuellement, ne datent pas d’aujourd’hui. Depuis des années l’agriculture en France souffre et ne peut plus vivre de son travail. Trop de charges, trop d’administratif, des coûts de production trop élevés, pas de trésorerie, à cela s’ajoutent les aléas climatiques, les dégâts de la MHE, la flambée du prix du Gazole non routier, un surcroît de paperasserie, et le vase déborde. Travailler à perte n’est plus supportable. »
L’agriculture bio n’est pas épargnée loin de là, reconnaît Julien Lacroix. « Après avoir incité à la conversion en bio, aujourd’hui l’aide est actuellement drastiquement diminuée. Seule la Région continue de nous soutenir. Dans ma ferme, les problématiques sont les mêmes que partout ailleurs, les coûts de production ont augmenté, comme le coût de la vie en général. Dans le même temps, nos prix de vente ont chuté, la tonne de blé bio qui était négociée à 450€ l’an dernier se vend maintenant à 180/200€. Les charges augmentant de 20 à 30% et la vente diminuant de moitié, l’équation est insoluble, on ne peut plus tenir.
Quant à la loi Egalim, elle n’est pas appliquée. A savoir à ce sujet, la Confédération Paysanne avait exigé à ce propos qu’on ne puisse pas négocier les produits en dessous du prix de production réel tout compris, mais le gouvernement et le syndicat majoritaire ont voté contre.
Il faut revoir la copie dans son intégralité. La grande distribution, les coopératives, doivent aussi jouer le jeu. Pourquoi nous paie-t-on le blé bio moins cher que le conventionnel ? s’il y a trop de volume en bio, qu’il soit converti en conventionnel, d’accord, mais là on marche sur la tête. Les arbitrages de la dernière politique agricole commune ont été mal faits, et le système qui est en place est là pour favoriser les grandes cultures céréalières industrielles, et les institutions et structures qui les pilotent. Le modèle des fermes familiales est mis à mal et nombre d’entre elles disparaissent. Sans parler des accords de libre-échanges internationaux qui sabordent notre agriculture.
Il n’est pas étonnant dans un contexte pareil, que les agriculteurs, endettés, surmenés, vivent dans le désarroi. Il y a plus de suicide ici que dans la population nationale, et des associations comme Solidarité Paysans Occitanie peuvent aider à surmonter les passages à vide.
Quant aux normes sanitaires et environnementales, d’après moi ce n’est pas le bon combat. Il ne faut pas baisser la barre de la qualité, c’est une question de santé publique. On connaît les effets des pesticides et autres produits chimiques, à un moment donné il faut être responsable. Maintenant on le sait, on ne peut plus travailler comme on nous a dit de le faire depuis des décennies et le monde agricole conventionnel ne le prend pas en compte. En bio, nos pratiques ont une visée d’avenir, on travaille sur la vie du sol, la résilience du système cultural, la gestion raisonnée et collective de l’eau, l’autonomie alimentaire et énergétique, etc.
Mais dans la conjoncture actuelle, il faut ensemble, tous secteurs confondus, dépasser les clivages et garder l’unité dans la lutte. Bien qu’avec des nuances, nous gardons toujours à l’esprit que la grande communauté agricole est en souffrance, nous en faisons partie tous, bio et non bio, petites exploitations paysannes, éleveurs, grands céréaliers et autres. L’apaisement de la révolte viendra du Gouvernement, selon s’il est capable ou non d’entendre les revendications et d’y apporter les réponses adéquates. »