Un pétage de plomb, un comportement inconsidéré auraient pu coûter cher à ce jeune homme de 26 ans présent dans le box des prévenus du tribunal correctionnel ce jeudi 16 décembre 2021. Il comparaissait pour s’en être pris, violemment et physiquement, 48 heures plus tôt, à deux gendarmes. Sans le témoignage équanime des deux représentants des forces de l’ordre, il aurait pu quitter le tribunal pour filer tout droit en prison. Tel n’a pas été le cas.
Le prévenu comparaissait pour deux motifs: outrage à une personne dépositaire de l’autorité publique et aussi rébellion.
Les gendarmes sont intervenus à la demande du service de sécurité d’un grand magasin, parce que le jeune homme importunait la clientèle en faisant la manche. Il refusait de partir comme cela lui était demandé. A la vue des deux gendarmes venus pour faire un contrôle d’identité et discuter en vue de le convaincre de quitter les lieux, le prévenu s’est enfui sur sa trottinette, suivi par son chien. Acculé dans une impasse, les gendarmes ont fini par le rattraper.
Une agressivité débordante à l’encontre des forces de l’ordre
Selon le rapport des gendarmes, le prévenu les a copieusement insultés et provoqués: «bâtards, frappez-moi avec vos matraques, vous allez me mettre une balle de 22mm!». Il s’est montré agressif, s’est jeté sur eux prenant l’un par le col, pendant que le chien saisissait le bas du pantalon de l’autre. Il s’est ainsi débattu jusqu’à ce qu’il finisse par être maitrisé, l’un des deux gendarmes étant finalement légèrement blessé à la main. Conduit au véhicule de la gendarmerie, le prévenu a cependant encore asséné deux coups de tête sur la portière de l’automobile. La présidente précise que lors des auditions, le jeune homme a «plus ou moins reconnu les faits» et déclaré avoir eu peur qu’on lui enlève son chien.
Des faits contestés par le prévenu, confirmés par les gendarmes
A l’audience, le prévenu conteste une partie des insultes qui lui sont reprochées, déclarant ne pas avoir pu saisir le col d’un gendarme parce qu’il avait son chien dans les bras, et qu’il avait cherché à ne pas être plaqué au sol. Il s’exprime sans agressivité, en cherchant à convaincre avec force mouvements des bras pour appuyer ses propos. La présidente rappelle à l’intéressé qu’il est poursuivi pour outrage et rébellion, elle précise «pour ne pas s’être laissé interpeller, et à partir du moment où il a fallu utiliser un peu de force, c’est ça la rébellion. Est-ce que vous le reconnaissez?». Le prévenu en convient: «oui» concède-t-il en baissant la voix, le regard dans le vide.
La présidente poursuit: «est-ce que ce n’était pas plus simple de partir quand la sécurité (de l’établissement) vous l’a demandé? Est-ce que vous le comprenez?»; le prévenu: «oui…je demandais simplement à manger (…). Je suis attaché à mon chien. Les gendarmes ont menacé de me le retirer».
Les deux gendarmes concernés ont confirmé à la barre les termes du rapport, posément: «on a essayé de contrôler son identité; quand il s’est trouvé bloqué par un grillage, il s’est jeté sur nous comme un fou. Une fois maitrisé, il a été très compliqué de revenir à la voiture». Ils se sont exprimés sereinement et, d’un commun accord, n’ont pas souhaité se constituer partie civile.
Durant leur intervention, le prévenu n’a cessé de faire non, non, et non de la tête, calmement, sans que l’on sache s’il niait vraiment les faits exposés ou s’il avait du mal à reconnaitre son propre comportement.
Une vie parsemée de carences et de violences dès le plus jeune âge
L’examen de sa personnalité a fait apparaitre un passé difficile et un casier judiciaire déjà lourd. Enfant maltraité par sa mère, il a été placé très tôt dans une famille d’accueil qu’il a fuie. Selon l’expert psychiatre, il est sujet à une carence affective sévère, il refuse tout cadre imposé et n’est pas prêt à accepter un suivi psychique. Il n’y avait cependant pas de trouble psychiatrique au moment des faits reprochés qui l’ont amené ce jeudi 16 décembre devant le tribunal correctionnel.
Il a été condamné précocement, dès l’âge de 14 ans, en 2012, à de la prison avec sursis pour une tentative de viol. Quatre autres condamnations (à de la prison avec sursis ou à des amendes) ont suivi pour d’autre délits (vol, recel de vol), entre 2013 et 2021. Il va faire opposition à un jugement récent qui l’a condamné à 10 mois de prison ferme pour des menaces de mort réitérées, des faits de violence avec arme. Il conteste: «je n’avais pas d’arme».
Il a travaillé dans le bâtiment et dans un établissement horticole. Il touche 1000,00€ d’allocations chômage, et sa compagne perçoit un RSA jeune maman.
La présidente: «vous avez intérêt à réfléchir sur votre vie»
Le prévenu: «depuis mon enfance, chaque fois que l’on voit la police, c’est pour être expulsé, matraqué, je n’ai pas de bons souvenirs»; la présidente: «vous vous positionnez en victime. Vous ne vous remettez jamais en cause (…). Quand vous aurez compris que votre mode de fonctionnement ne va pas, vous aurez fait un grand pas». Le prévenu: «je ne dis pas que je suis victime, j’explique des faits»; la présidente: «peut-être avez-vous intérêt à réfléchir sur votre vie, à voir un psychologue, des travailleurs sociaux pour vous aider dans vos démarches administratives. Ils ne sont pas là pour vous mettre la tête sous l’eau». Le prévenu détourne la tête, les yeux baissés, comme absent, hermétique ou ailleurs dans ses souvenirs. Évoquant son usage de stupéfiants, il affirme que cela appartiendrait au passé; là aussi, la présidente insiste: «il faut vous faire aider».
La procureure: «Il n’est pas question de s’en prendre aux forces de l’ordre»
La procureure marque son désaccord avec les propos du prévenu: «Je suis amenée à travailler souvent avec les militaires concernés, je n’ai aucune raison de mettre en doute leurs déclarations durant lesquelles le prévenu a fait non de la tête du début à la fin. Il existe dans une réalité parallèle. Je trouve son attitude particulièrement questionnante. J’ai demandé une expertise psychiatrique. On se demande quel est le parcours de ce jeune homme qui apparait relativement dangereux. Il a besoin d’un cadre, même s’il n’est pas d’accord. Il a besoin de travailler sur lui-même. La sanction doit être ferme, parce qu’il n’est pas question de s’en prendre aux forces de l’ordre. Ce n’est pas supportable (…). Je peux entendre qu’il craignait pour son chien». Elle précise que les militaires l’ont autorisé à appeler sa compagne pour lui permettre de récupérer l’animal. Elle poursuit: «Je n’aime pas qu’il dise des gendarmes ce qu’ils n’ont pas fait (…). Il faut qu’il se remette en question». La procureure demande 12 mois de prison dont 8 mois assortis d’un sursis probatoire, une obligation de travail et de soins, l’interdiction de paraitre aux abords du grand magasin auprès duquel les faits se sont déroulés, et elle requiert un mandat de dépôt pour les 4 mois de prison ferme «pour l’amener dans un lieu où il sera amené à réfléchir».
L’avocate: «son déraillement est compliqué à gérer pour lui»
L’avocate reconnait que c’était un «mauvais réflexe de s’enfuir» de la part du prévenu qui était «obsédé par la présence de son chien et la peur de se le voir enlevé». Il avait déjà perdu un chien lors d’une interpellation précédente, et «ne tenait pas à ce que cela se renouvelle (…). Il est indiqué dans la procédure que lorsque sa compagne a récupéré le chien, il a tout de suite coopéré avec les forces de police, avec un comportement plus adapté». Elle souligne que l’expert a mentionné que le prévenu «porte un attachement fusionnel à son chien expliqué par ses carences affectives (…). Il sait qu’il a déraillé, un déraillement compliqué à gérer pour lui». Compte tenu des circonstances, l’avocate «sollicite une sanction pénale adaptée, le mandat de dépôt n’est pas nécessaire».
A l’invitation de la présidente, le prévenu s’excuse de manière empruntée, du bout des lèvres, fugitivement auprès des gendarmes.
Un verdict en forme d’opportunité à saisir pour l’avenir
Le prévenu est reconnu coupable des faits reprochés, condamné à 7 mois de prison assortis d’un sursis probatoire, avec une obligation de soins, de travail et/ou de formation.
Le verdict, mesuré, d’une clémence apparemment inattendue pour le prévenu, a fissuré d’une façon tout aussi surprenante l’armure finalement fragile du condamné. L’énoncé terminé, il a tenté de retenir ses larmes en essuyant ses yeux. Il a fini par se retourner vers les gendarmes, pour les remercier.
La présidente s’est alors adressée à lui avec toute sa force de conviction: «vous avez intérêt à saisir la perche que l’on vous tend. Il vous appartient de repartir sur de bonnes bases (…). Vous devez comprendre que vous avez un problème avec votre comportement». La présidente lui explique ensuite minutieusement toutes les obligations qui découlent du jugement, à respecter scrupuleusement: «est ce que c’est clair?» demande-elle encore, avant d’ajouter à l’intention de ce jeune père: «allez, vous avez un bout de chou qui vous attend». Ce jeudi soir, le prévenu a quitté le tribunal pour retrouver sa compagne, son fils et aussi son chien, ce compagnon de vie à quatre pattes auquel il tient tant, son relais de tendresse.
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La bienveillance des gendarmes envers le prévenu, l’attention vigilante portée par les juges aux gendarmes, et aussi au prévenu (envers qui le ministère public et les juges du siège, chacun dans leur rôle, ont fait alternativement preuve de fermeté et de prévenance), la clémence soigneusement soupesée de la décision ont tissé un lien qui semble avoir atteint la sensibilité écorchée du condamné. Le tribunal lui a offert l’opportunité de prendre un nouveau chemin de vie. Il lui reste à s’y engager, même si la route parait difficile compte tenu de son parcours jusque là chaotique.