«Je suis l’archétype du gamin qui a écouté son grand-père raconter des histoires et a toujours eu envie d’écrire son livre», ainsi s’exprime Christian Louis toujours à la poursuite de son rêve jamais finalisé et pourtant maintes fois réalisé: avec «La vallée des sacrifiés», paru en septembre 2021, il en est à son trente deuxième ouvrage, dont treize romans.
Commingeois de toujours et écrivain compulsif, le besoin d’écriture semble un élément substantiel de sa nature. Christian Louis sillonne son piémont pyrénéen avec la passion d’un archéologue doublé d’un ethnologue, avec des manies d’entomologiste. Tel un moine copiste jacobin, il accumule pour façonner ses romans une somme peu commune de multiples connaissances sur tout le sud toulousain, passé et actuel, sur ses habitants et sur leur vie: «c’est beaucoup de boulot» dit-il. Il épluche les archives locales, départementales et même nationales pour revitaliser les histoires locales du temps jadis. Il se déplace sur les lieux pour s’en imprégner; il scrute l’architecture des bâtiments; il s’imprègne de la nature et de sa vitalité: «quand on est proche du Pic du Gar, on sent une présence très très forte» insiste-t-il. La trilogie «L’assassinat de Saint Béat» est ainsi nourrie de six années de recherches sur des documents, avec des visites sur sites, le tout passé au tamis de son écriture et revisité par sa créativité. Le lecteur surpris voit alors surgir tout un passé méconnu, oublié, parce que le texte de «L’assassinat de Saint Béat» est imbibé de faits et de réalités de l’époque, à la charnière du XVIIIème et du XIXème siècle, entre 1748 et 1814.
Le piémont des Pyrénées centrales comme terroir
Christian Louis s’inspire des mêmes principes, il opère avec la même méthode pour ses romans dont les sinuosités de l’intrigue s’inscrivent dans les décors contemporains du temps présent. Il en est ainsi avec son dernier roman «La vallée des sacrifiés» dont les protagonistes s’activent dans la ville de Saint Tarin, en fait bel et bien Saint Gaudens. Étrangement, Saint Tarin est le seul nom de lieu travesti dans le roman.
En effet, les rues, les monuments, les espaces de la ville sont rigoureusement ceux de Saint Gaudens: la collégiale, le gymnase du Pilat, «Le Pédussaut», «Le Commerce», le Centre Hospitalier Comminges-Pyrénées, la librairie Victor Hugo, le Palais de Justice aux «colonnes imitées de l’Antiquité» avec son «fronton triangulaire façon temple grec à la mode néo-classique, encore d’actualité lors de sa construction en 1839», le boulevard Jean Bepmale… Et il en est de même pour les environs: le lac de Sède, la Serre de Nérous, Saint Bertrand de Comminges, le château de Fronsac, Couledoux, les gorges de la Save, Boulogne sur Gesse, Bordes sur Lez, le col d’Urets, le pic du Mail de Bulard, l’arboretum de Cardeilhac, les fresques de l’église de Saint Blaise à Benqué-Dessous… Pareil pour les manifestations, qu’elles soient réelles comme le festival d’Anères ou imaginaires comme la légende du château de Bramevaque…
Une vraie expédition dans le piémont des Pyrénées centrales, ses paysages, sa culture! Et les personnages du roman, qu’en est-il ?…
Des «héros» de roman aux caractéristiques universelles
Et bien, Christian Louis détaille en conférence les «trois types» de personnages qu’il a créés: il y a les «personnages réels, que j’aime bien, sympas, généreux», il y a aussi les créatures imaginaires qui sont «la synthèse de plein de choses que j’ai pu voir», et enfin les «archétypes» comme par exemple le personnage d’un maire. Tiens, tiens, le lecteur retrouve la même typologie avec les trois «groupes» dont se réclame un écrivain que Christian Louis fait parler dans «La vallée des sacrifiés». Le réel et l’imaginaire en fusion…
«Certaines personnes se reconnaissent» constate Christian Louis qui n’a pas pu penser à eux puisqu’il ne les connaissait même pas et qu’il les rencontre souvent pour la première fois. Mais l’humanité a beau être multiple, tout le monde se ressemble peu ou prou. Si au détour de quelques pages le lecteur peut reconnaître quelques authentiques célébrités bien réelles, comme le «type sympa» qui «a entraîné de prestigieuses équipes de football», ou «le criminologue chauve et très légèrement moustachu», d’autres personnages en revanche laissent songeur, soit parce que le lecteur pense les avoir bien rencontrés dans les lieux familiers du roman, soit parce qu’il se retrouve lui-même: le commerçant atrabilaire, le restaurateur d’œuvres d’art passionné par son métier, le critique d’art infatué parce qu’il a besoin de se reconnaître plus de talent qu’il n’en a…L’art consommé de rendre indiscernable la vrai du vraisemblable.
Christian Louis: «je veux conserver toute l’épaisseur psychologique que je veux mettre dans mon travail». Les silhouettes croquées (dans tous les sens du terme) par l’auteur baignent dans le milieu propre à chacune. Christian Louis laisse aller l’encre de sa plume scrutatrice, quelquefois bien acérée.
Un biotope examiné avec des yeux d’entomologiste averti et un regard d’écrivain très personnel
Bien sûr, Christian Louis a fait sien le conseil avisé d’un auteur rencontré: «ce que tu veux dire en tant que narrateur, mets le dans la bouche de tes personnages». Certes, c’est souvent le cas, mais les exceptions sont nombreuses et souvent l’écriture s’enflamme jusqu’à transformer certaines pages en brûlot, vouant au quasi bûcher certaines pratiques des milieux associatifs, artistiques, journalistiques, politiques, religieux, sectaires, et aussi agricoles. L’auteur s’abandonne alors et se livre lui-même avec une liberté de ton caractéristique de son style, déjà déployé dans un roman précédent, «Saloper le paradis». Mais il laisse Blandine, la jolie lieutenante stagiaire enquêtrice, porter sa parole d’une écologie citoyenne («Attention ! Pas écolo politique!») et raisonnable (qui «ne produise pas un écofascisme. Tous au vélo et à la salade…»). Elle conduit sa «petite auto électrique» pour «limiter la pollution des gaz d’échappement». Elle est «friande de produits de plusieurs fermes bios de proximité», «c’est ridicule d’acheter des fruits et légumes venant d’Amérique du Sud ou d’Afrique». Cela tombe bien, Christian Louis a décidé, lui, de ne plus prendre l’avion: «j’aime toujours les voyages, mon tourisme est un tourisme local, je me déplace dans les Pyrénées, je chemine dans les villages, il y a des choses extraordinaires à voir, c’est un moyen pour moi de m’enrichir».
Auteur de romans policiers historiques (L’assassinat de Saint Béat), Christian Louis est aussi un auteur de romans policiers sociétaux, voire citoyens, qui peuvent aller jusqu’à une certaine forme de militantisme, avec des prises de positions sujettes à débats.
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Finalement, le dialogue, surpris entre deux personnages au cœur du roman «La vallée des sacrifiés», livre le secret qui dynamise l’envie d’écrire de Christian Louis: «Il me semble, dit Vincent (le journaliste), que tes récits, tes personnages, sont des prétextes à parler de la société à partir de détails que l’on ne voit plus», «tu as raison, ils justifient le regard que je porte sur le monde et sur les humains» répond Gaël l’écrivain. Mais c’est Christian Louis en personne qui lève définitivement le voile en conférence: «j’ai plaisir à écrire, dit-il, parce qu’on se construit en écrivant».