Saint Gaudens a été une étape importante dans la saga des faïenciers Fouque et Arnoux. Leur histoire sur plusieurs générations, de 1750 à 1950, débutée en Provence et prolongée jusqu’aux États-Unis, a été présentée à la médiathèque de Saint Gaudens, ce mardi 8 mars, par Marie-Germaine Beaux-Laffon et Stéphane Piques.
Le parcours hors du commun des Fouque et des Arnoux a débuté au XVIIIème siècle à Moustiers, petit village d’accès difficile à l’époque, à l’entrée des gorges du Verdon, et dans ce qui devenu aujourd’hui les Alpes de Haute Provence ; il s’est poursuivi jusqu’aux États–Unis, avec des sauts de puce jusqu’à Apt (en Vaucluse aujourd’hui), puis Toulouse, et Saint Gaudens ; il s’est prolongé avec des bonds de géants en Angleterre (à Stoke-on-Trent où l’on travaillait la terre cuite depuis le XIVème siècle), puis aux États-Unis (en Californie). De nos jours une branche familiale opère encore en Australie…Une épopée familiale, artisanale, industrielle et artistique habitée « par l’esprit de recherche et d’innovation qui permet de s’adapter » (Marie-Germaine Beaux-Laffon).
Moustiers, à l’entrée des gorges du Verdon
L’ébouriffante histoire commence avec le fondateur de cette dynastie faïencière, Joseph Fouque. Il crée un atelier en 1749 à Moustiers. Il perdurera jusqu’en 1852. L’un de ses trois fils, Joseph-Jacques Fouque (1761-1829) part à Apt s’associer avec un faïencier du nom de Moulin dont il va épouser la fille et héritière. Sa sœur Claire va épouser un certain Antoine Arnoux tué pendant la Terreur ; veuve, elle va acheter l’atelier (à Joseph-Jacques parti à Toulouse pour échapper aux affres de la Révolution) qu’elle vendra par la suite à sa fille.
Toulouse
Joseph-Jacques Fouque arrive à Toulouse en 1797 dans un petit atelier qu’il va développer. Il en a fait une manufacture avec son neveu Antoine Arnoux (le fils de sa sœur Claire) qu’il a fait venir, qu’il a formé, et…marié avec sa propre fille Marie-Rosalie (les trois fils de Jean-Jacques Fouque –il a eu 4 enfants- feront tous des mariages « arrangés », signe de l’époque). Concurrencée par les autres grandes manufactures françaises, fragilisée par la crise économique et le révolution de 1848, la manufacture de Toulouse est vendue en 1850.
Saint Gaudens
C’est cet Antoine Arnoux (1791-1855) qui a découvert dans les Pyrénées le kaolin dont le minéral argileux permet de fabriquer de la porcelaine. Les Fouque et Arnoux vont alors s’installer en 1830 à Saint Gaudens, site favorable en raison de la proximité des gisements de kaolin (en Ariège), avec la présence des nombreuses forêts et l’abondance de l’eau nécessaires à la production. Ils vont ériger une manufacture (en face de Valentine, mais pas à Valentine, à Saint Gaudens) dont la construction est attribuée à l’architecte toulousain Urbain Vitry (1802-1863).
Le fils d’Antoine Arnoux, Léon Arnoux (1816-1902), a suivi les cours de la première école d’ingénieurs créée en France, l’École centrale des arts et manufactures fondée en 1829. Revenu à Saint Gaudens, il continue d’améliorer la production de porcelaine en s’adaptant toujours aux goûts du moment.
Précédé d’une réputation qui avait avantageusement franchi les frontières, Léon Arnoux a exporté ses compétences en Angleterre en 1849, à Stoke-on-Trent, chez Minton LTD, une grande manufacture où il a œuvré jusqu’à sa mort (en 1902). A Saint Gaudens, c’est Henri Fouque (1798-1871), fils de Joseph-Jacques, qui a poursuivi l’exploitation de la manufacture jusqu’en 1864, date à laquelle il l’a vendue à des anglais qui firent faillite en 1878.
Angleterre, États-Unis, Australie
A Stoke-on-Trent, Léon Arnoux a attiré Marc Solon (1835-1913) natif de Montauban et directeur artistique de la manufacture nationale de Sèvres. Marc Solon a épousé la fille de Léon Arnoux, Laure-Marie Arnoux, avec qui il a eu 9 enfants (8 garçons et 1 fille) qui partirent presque tous, les uns aux États-Unis, les autres en Australie. L’un d’eux épousa en Californie Julia Morgan, première femme diplômée d’architecture en France, qui travaillait pour le magnat William Hearst. Julia Morgan est surtout connue aujourd’hui pour avoir construit le mirifique Castle Hearst dont la piscine aux mosaïques bleues et or apparait dans le fameux film Citizen Kane (1941) réalisé par Orson Welles…
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La saga des Fouque et Arnoux, c’est l’histoire d’une lignée dont la légende familiale, artisanale, artistique et industrielle relève d’un esprit de famille quasi clanique, d’un intérêt continu pour la recherche et l’innovation, avec un grand sens commercial doublé d’une grande intelligence relationnelle qui leur a permis de s’insérer partout dans la société.
Une saga de céramistes, faïenciers et porcelainiers sur trois siècles (XVIII, XIX et XXème)
Les mariages arrangés, entre cousins, entre partenaires professionnels, ont ainsi favorisé le développement des entreprises pendant deux siècles de 1750 à 1950, en France et à l’étranger. Les femmes et les cousines ont joué un rôle important à l’image de Claire Fouque, veuve d’Antoine Arnoux, qui a racheté à son frère l’atelier d’Apt, puis est partie s’installer à Bordeaux pour y tenir un comptoir commercial.
L’esprit de recherche et d’innovation au cœur de la saga
L’intérêt continu pour la recherche a permis la multiplication des innovations, de la céramique et faïence stannifère à Moustiers à la faïence fine d’Apt, puis à la faïence fine et imprimée à Toulouse (brevet déposé en 1808), et enfin à la fabrication de la porcelaine à Saint Gaudens. Pour ce faire, les innovations ont émaillé le parcours de ces familles : création d’un four à étages à Toulouse qui permet une cuisson à différentes températures, progressives et adaptées permettant en outre d’économiser du bois, création d’une roue hydraulique pour remplacer l’énergie animale et humaine (conçue par Jean Abadie, un ingénieur de Saint Gaudens, natif de Soueich). En Angleterre, Léon Arnoux « invente le four à flamme renversée breveté Minton utilisé ensuite dans de nombreux pays » continue Germaine Beaux-Laffon et aussi une pâte majolica de marque Minton.
L’esprit commercial et la diversification au cœur des projets
Les Fouque et Arnoux n’ont cessé de diversifier leurs activités. Ainsi ont-ils produit des objets d’art de la table blancs ou polychromés, des ustensiles pour les apothicaires et chimistes (pots de pharmacie, creusets), des poêles (structure en fonte tapissée de faïence à l’extérieur), des briques réfractaires, des plaques de rues avec le numéro des maisons (il en subsiste encore de nos jours à Toulouse). A Saint Gaudens, création d’un laboratoire de recherches sur les couleurs, construction de tuyaux pour transporter le gaz et l’eau des stations thermales (à Luchon). « Je ne sais pas ce qu’ils n’ont pas fait » glisse amusé Stéphane Piques ; « ils ont tellement diversifié que cela a entrainé une crise en 1948, parce que faisant beaucoup de produits, ils ne pouvaient pas en produire en grande quantité » note Germaine Beaux-Laffon. Une crise qui a précédé le départ de Léon Arnoux en Angleterre et annoncé la vente en 1864 de la manufacture saint gaudinoise à des anglais. Cette crise, parmi d’autres, n’a pas empêché la saga familiale de se poursuivre, et même de se répandre au-delà des frontières,
Alliances matrimoniales, concours professionnels et stratégies de développement
La capacité d’adaptation caractérise et explique la longévité de la saga. A la synergie familiale, ils ont rajouté des alliances avec des partenaires dont ils ont développé l’activité, auxquels ils ont souvent succédé ou qu’ils se sont quelquefois ralliés avec des unions matrimoniales.
Ils ont su s’adjoindre des compétences complémentaires comme celle des artistes de l’école toulousaine, l’ingénieur Jean Abadie, l’architecte Urbain Vitry, l’artiste céramiste Marc Solon spécialiste du décor pâte sur pâte… Ils ont conquis la confiance du public, et celle de personnes aisées qui ont contribué à leur installation à Saint Gaudens en créant la Société « Fouque Arnoux et Cie ». Ils ont conjointement développé des circuits commerciaux entre Méditerranée et Océan Atlantique.
Ils ne se sont pas engagés seulement dans le domaine strictement professionnel où ils ont excellé. Ils se sont insérés dans la vie politique et sociale. Si à Apt Joseph-Jacques s’est fourvoyé dans les tourments de la Révolution, à Toulouse son neveu Antoine Arnoux (1791-1955) a été président du tribunal de commerce et maire de la ville. A Saint Gaudens, ils ont aussi créé uns société de secours mutuel ; c’était l’époque des idées saint simoniennes qui ont eu une grande influence au XIXème siècle.
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Marie-Germaine Beaux-Laffon et Stéphane Piques préparent au musée de Saint Gaudens une exposition « La saga des céramistes Fouque et Arnoux (1750-1950) ». Elle sera ouverte au public du 18 mai au 5 novembre 2022 au musée de Saint Gaudens. Les visiteurs pourront s’approprier une extraordinaire aventure qui a connu à Saint Gaudens une étape importante pour le Comminges, pendant trois décennies au XIXème siècle (1830 à 1864)