«C’était pire qu’un film d’horreur» selon l’un des témoins qui a assisté à une «bagarre de soudards», selon l’avocat de l’un des deux prévenus qui ont comparu, sous escorte, devant le tribunal correctionnel de Saint Gaudens ce jeudi 28 avril. Les faits se sont déroulés une douzaine de jours plus tôt, sur le parking d’un restaurant: trois individus se sont livrés à un déferlement de violence et de coups sur les membres d’une famille paisible…
Lors de l’enquête préalable à la comparution, les témoins ont confirmé le témoignage glaçant délivré par le père de famille et qu’il a renouvelé à la barre du tribunal, où il s’est exprimé avec une émotion difficilement contenue.
Il a expliqué avoir passé la soirée en famille au restaurant, avec sa femme et leurs deux filles de 12 ans et 21 ans. Lors de leur départ, l’aînée a été sifflée, interpellée grossièrement et insultée par trois jeunes visiblement alcoolisés, attablés à l’extérieur. Alors que la présidente s’était abstenue de rappeler l’inqualifiable litanie, les intervenants lors de l’audience en ont délivré un bref échantillon, néanmoins significatif: «tu es jolie» selon l’avocate des parties civiles, «tu as une grosse poitrine» selon l’avocat de l’un des deux agresseurs, «tu es bonne, salope, ceci-cela… elle était humiliée» selon le père qui a incité sa fille à garder son calme: «laisse tomber, ne répond pas». Parlant de lui il précise «je suis son père, mais je ne me suis même pas retourné, jamais».
Le témoignage suffocant du père de famille
Après avoir traversé le parking, «ma fille arrive à mon niveau, elle s’est sentie un peu plus forte, elle s’est retournée et leur a dit: vos gueules! Ils sont arrivés en courant, je n’ai pas dit un mot, je n’ai pas dit une insulte, j’ai pris une série de coups. J’ai dit: je ne veux pas me battre, je ne veux pas me battre (propos confirmés par un témoin). Je me rappelle m’être relevé deux, trois fois. Après, je ne me rappelle plus, je ne me souviens même pas de leurs visages». La présidente «vous avez perdu connaissance…», «je me rappelle être tombé sur le parking après une balayette, avoir pris des coups sur la tête, devant, derrière ; un (agresseur) devant, un derrière, un sur le côté ; je me suis relevé, je suis allé vers le restaurant, j’ai pris une autre balayette, je me suis relevé et j’ai repris une autre balayette, je ne me rappelle pas comment je suis rentré dans le restaurant». Il répète en s’adressant aux deux prévenus «regardez moi en face, je n’ai rien dit, je n’ai rien fait». Pendant toute son intervention les prévenus écoutent tête baissée, l’un deux faisant continuellement non de la tête sans que l’on sache s’il contestait la version de la victime ou s’il ne voulait pas entendre ce qu’il avait fait. Le père de famille termine: «je n’ai pas insulté, je n’ai pas échangé de coups»
Les déclarations des témoins au diapason des propos des victimes
Les faits tels qu’ils ont été présentés par le père ont été confirmés par un témoin lors de l’enquête qui a suivi: un témoin qui a confirmé les conditions de sortie du restaurant de la famille, les cris des trois jeunes, leur course après le père de famille qu’ils ont continué à frapper même à terre. Le gérant du restaurant, attiré par les cris, est sorti et a vu le père de famille ainsi que sa femme se faire frapper. Cette dernière, qui voulait séparer son compagnon des agresseurs, a pris «une bonne gifle» selon l’avocate des parties civiles, «une bonne gifle, une bonne gifle à l’ancienne, une telle gifle qu’on a 10 jours d’ITT» précise le procureur.
Le gérant du restaurant s’est fait lui aussi bousculer lors de son intervention, avant d’appeler le serveur et l’apprenti cuisinier pour venir au secours du père de famille et pour l’aider à revenir dans son établissement. Le serveur a été frappé à son tour, l’apprenti a été menacé avec un couteau et une chaise lui a été balancée: «une chaise a volé, je ne sais pas qui l’a balancée» a dit à l’audience l’un des agresseurs (l’oncle, 28 ans, 6 condamnations à son actif depuis 2014 pour usages de stupéfiants et pour des faits de violence) , et l’autre (son neveu, 20 ans, jusqu’alors inconnu des services de police et de justice) «je ne l’ai pas fait exprès, je l’ai lancée sans regarder où je la lançais».
Lors de l’enquête préalable, après avoir visionné la vidéo surveillance du parking, et ensuite à l’audience, les deux prévenus ont finalement reconnu les coups, en partie. Le neveu a déclaré que le père s’est avancé vers lui le poing serré, que les insultes avaient fusé des deux côtés, et il a reconnu avoir donné une gifle à la femme qui, selon lui, l’avait aussi insulté.
Le plus âgé, l’oncle, a confirmé l’échange d’insultes (il a même affirmé, au grand dam du père de famille, que ce dernier aurait déclaré : «sales gitans, sales arabes») et il a concédé après visionnage de la vidéosurveillance avoir donné un coup de pied, un coup de poing, avoir aussi sorti un couteau, expliquant son comportement par la prise d’alcool et de cannabis.
Les agresseurs nient les insultes et se laissent aller à des aveux avec une extrême parcimonie
La présidente a fait observer que l’ensemble des témoins a confirmé les déclarations des victimes et nullement celles des prévenus. Un témoin a dit avoir entendu les insultes proférées par les mis en cause. Le neveu, parlant de la jeune femme, assure et répète: «je ne l’ai pas insultée». Il soutient ensuite qu’il y a eu un échange d’insultes entre lui et le père qui l’a poussé. La présidente: «vous êtes le seul à dire qu’il vous a poussé. L’ensemble des témoins de la scène disent que vous avez couru vers lui et vous lui avez flanqué un coup» ; le prévenu «il n’y avait personne», la présidente «il y avait des témoins, et la vidéo permet de voir que vous courez vers lui: vous l’admettez?», «oui» ; «que s’est-il passé ensuite?», «je me suis battu avec lui» ; «vous lui avez fait une balayette et il est tombé. Qu’est ce que vous avez fait une fois qu’il est tombé à terre?», «je lui ai donné un coup de pied», «un coup de pied, Monsieur ?», «deux coups de pied», «deux coups de pied, Monsieur?», «plusieurs coups de pied», «plusieurs coups de pied, Monsieur, où ça, alors qu’il est à terre?». Le prévenu concède avoir frappé la victime à terre à la tête, au ventre, partout. La présidente rappelle l’impressionnante liste d’hématomes, ecchymoses, abrasions, lésions relevées par le médecin sur la tête, le visage, le corps du père de famille qui avait été ramené inconscient dans la salle de restaurant par le gérant et les employés de l’établissement.
La mère de famille? «Elle est venue nous séparer, je me battais (avec le père), je lui ai mis un coup» déclare le neveu ; «vous avez vu les conséquences? demande la présidente qui énonce : un tympan percé… Et après qu’est- ce qui se passe quand le serveur vient sauver (le père) des coups? », «il y a eu des insultes entre lui et moi, et après il a dit qu’il allait prendre un couteau» (son oncle va affirmer que le serveur a déclaré «amenez-moi un couteau de cuisine, je vais les étriper, ces gitans»). Le neveu a gratifié le serveur d’un coup de chaise et de pied. Quant à l’apprenti, «comment se fait-il qu’il ait reçu un coup?» demande la juge, «impossible» jette le neveu ; «comment expliquez- vous que le médecin ait constaté une ecchymose sur le flan gauche?», «je ne sais pas, sur la vidéo on ne le voit pas» évacue-t-il. La présidente n’obtiendra rien de plus, avant de s’adresser au plus âgé des deux prévenus à qui son avocat a demandé ce qu’il pensait du témoignage du père de famille ; son client commence par répondre «je ne comprends pas», avant de se perdre «ce n’est pas la vérité!». L’avocat, dépité, à la présidente «mauvaise pioche !…».
Le procureur : «des faits de violence caractérisée extrêmement graves»
Le procureur a voulu se livrer à une approche méthodique du dossier, avec «des faits extrêmement solides dans la procédure, à savoir des témoignages qui corroborent les déclarations (du père de famille), avec une vidéo extrêmement parlante, malgré des faits et propos hors champ vidéo encore un petit peu contestés sur certains points, et avec les déclarations des prévenus. C’est une procédure qui est quand même particulière parce que ce 12 avril est une soirée en famille qui devait tout simplement se dérouler tranquillement». Le procureur s’interroge sur «un tel déchaînement de violence, sur cette capacité de frapper avec une telle violence et surtout avec un tel acharnement de la part d’un prévenu (le neveu de 20 ans) qui n’a jusque là jamais fait parler de lui». Il s’interroge sur le comportement de l’oncle (28 ans) qui renouvelle le même type d’infractions pour lesquelles il a déjà été condamné. Un ensemble de faits et de comportements inquiétants pour la société. Le procureur a requis 24 mois d’emprisonnement pour chacun des deux prévenus dont 12 mois avec sursis probatoire, et il a demandé un mandat de dépôt.
Les avocats plaident pour éviter le mandat de dépôt à leurs clients
Les avocats des deux prévenus ne vont pas contester la gravité des faits, mais ils ont voulu l’éclairer avec la perception du contexte ressenti par leurs clients, qui appartiennent à la communauté des gens du voyage. Avec un environnement qui ne leur aurait pas été favorable à leur arrivée au restaurant. On leur a spécifié que l’établissement ne fait pas bar. L’avocat du neveu : «ils sont dans leur soirée, ils sont bien, et quand ils rentrent dans le bar manifestement ils ont senti une certaine hostilité (…) Cela ne justifie rien, mais cela permet de comprendre». Pour son jeune client de 20 ans sans casier judiciaire, il argumente et pose une question, «est-ce indispensable d’accompagner la peine de prison d’un mandat de dépôt?».
L’avocat de l’oncle va plaider sur la même longueur d’ondes. Sans «mettre en doute un seul instant les propos (du père de famille)», il donne aussi sa perception du contexte. Parlant des prévenus, «ils font partie de la communauté des gens du voyage, et, sans excuser leur attitude, ce qu’ils ont ressenti, à tort ou à raison, c’est un sentiment de rejet». La jeune femme «n’a absolument pas envie de se faire draguer lourdement : Vos gueules ! Ils sont vexés. ils l’ont vécu comme si elle avait dit sales gitans. Elle ne l’a pas dit, mais ils l’ont vécu comme cela (…) Cela n’excuse rien mais ça permet de comprendre (…) (L’oncle) n’a pas donné plus de deux coups, vus à la vidéo. Il appartient à la génération des gens du voyage qui réussissent à s’insérer. Il travaille. Cela fait 5 ans qu’il se tient à carreau, hormis les faits extrêmement désagréables qui lui sont reprochés (lors de cette comparution). La prison oui, mais pourquoi un mandat de dépôt qui va à nouveau le désinsérer?».
Prison ferme pour les deux agresseurs, partiellement assortie de sursis probatoire
Les deux prévenus sont reconnus coupables. Le neveu est condamné avec un mandat de dépôt à 18 mois de prison assortis de 10 mois d’un sursis probatoire d’une durée de deux ans. L’oncle est condamné à 18 mois de prison assortis de 12 mois d’un sursis probatoire de 3 ans : les six mois de peine ferme feront l’objet d’un aménagement pour lui permettre de continuer à travailler. Les deux prévenus sont aussi condamnés aux même autres peines : interdiction de paraître sur les lieux des faits et de vie des victimes, interdiction de port d’arme pendant 3 ans, obligations de soins (violence pour le neveu, violence et stupéfiants pour l’oncle), obligation d’indemnisation des victimes.
Les intérêts civils dus aux victimes (dont les dommages physiques et psychologiques restent à évaluer) feront l’objet d’une audience spécifique du tribunal civil au mois d’octobre.
******
Sans l’intervention salvatrice des employés du restaurant, le déferlement de violence (qui a projeté par trois fois à terre le père de famille, roué de coups suivis d’une perte de connaissance) aurait pu connaître une issue autrement plus grave, voire fatale : «chacun y a pensé» comme l’a déclaré très justement le procureur dans son réquisitoire. Les prévenus eux-mêmes ont été de fait protégés de leur propre sauvagerie par le gérant, par le serveur et par l’apprenti cuisinier : sans eux, l’épilogue judiciaire aurait pu être beaucoup plus douloureux pour les deux agresseurs. Ils se sont excusés à la fin de l’audience auprès du père de famille présent et auprès de sa famille. L’oncle a tenu à exprimer au tribunal ses bonnes résolutions pour l’avenir. Le neveu s’est fendu d’un «j’ai honte de moi». Avec le culot ou l’inconscience de ses 20 ans, il a voulu rassurer ses proches venus près du box avant son départ imminent pour la prison : «ce n’est pas grave, je suis un homme». Le climat de l’audience était cependant bien éloigné de l’esprit qui animait Rudyard Kipling quand il a rédigé son célèbre poème « Tu seras un Homme, mon fils ».