L’homme qui est entré et s’est assis dans le box des prévenus ce mardi 21 novembre, sans être probablement très serein dans son fors intérieur, paraissait néanmoins étonnamment calme, comme s’il s’était préparé à cette éventualité, à savoir une comparution devant la justice pour répondre du transport de stupéfiants.
Les dernières journées n’avaient pas été de tout repos pour ce plombier espagnol de 44 ans qui vit avec sa famille de l’autre coté des Pyrénées, sur les bords de la Méditerranée, à Valence. Trois jours auparavant, le samedi 19 novembre en soirée, il avait été contrôlé à Lestelle de Saint Martory par les agents de la Brigade de Surveillance Intérieure des Douanes auxquels il a d’abord déclaré se rendre sur un chantier en Italie.
145,3 kg de résine de cannabis en paquets thermo-soudés parfaitement conditionnés
Mais le chien de la brigade a reniflé et permis de découvrir 145,3 kg de résine de cannabis en paquets parfaitement conditionnés, thermo-soudés, camouflés derrière le marchepied du fourgon Fiat Ducato. Placé en garde à vue, le chauffeur a été entendu par les personnels de l‘Office anti-stupéfiants (OFAST) de Toulouse enquêtant sous la direction du parquet de Saint Gaudens. Il a fini par reconnaitre qu’il connaissait effectivement depuis le départ la nature de la marchandise qu’il transportait.
Il était parti, la veille, vendredi 18 novembre, de la ville andalouse de Grenade (sa ville de naissance) où on lui a donné les clés du fourgon avec pour directive de se rendre en Italie, contre la promesse de 7 700 €, et une avance de 700 € pour les frais de voyage.
Un individu inséré socialement, lourdement endetté
Cet individu au casier judiciaire vierge, apparemment bien inséré socialement, père de deux enfants de 13 et 8 ans, exerce la profession de plombier dans une entreprise valencienne où il perçoit un salaire de 1 600 €. Son épouse exerce une activité de coiffeuse à temps partiel qui rapporterait 500 € mensuels. Soit 2 100 € de revenus pour le couple qui doit faire face au montant de deux crédits d’un total mensuel de 1 630 € (1 000 € de crédit à la consommation, 630 € de crédit immobilier)…
Le prévenu a expliqué au tribunal ne pas avoir perçu de rentrée d’argent pendant toute la période de la crise sanitaire, être surchargé de dettes, et avoir voulu solder le lourd crédit à la consommation pour éviter de perdre son appartement.
Il a pris la parole dès le début de l’audience pour dire son regret de s’être abandonné à pareil expédient, et il a clôturé la séance avant le délibéré des juges en déclarant avec la maladresse d’un individu en mal de justifications: «je ne savais pas où était la drogue, ni la quantité que je transportais».
Un maillon d’une organisation minutieusement rodée
Des regrets tardifs et une naïveté de façade, autant des postures non retenues par le procureur qui a retrouvé un canevas habituel dans le profil des «mules» chargées du transport de drogue. Un personnage en grande difficulté financière appâté par la perspective de gagner rapidement un somme d’argent relativement importante; des modalités de prise en charge du chargement selon un processus souvent observé dans des situations similaires: des commanditaires qui restent dans l’ombre et distillent des directives au fil du voyage à un transporteur qui a pris la direction du centre du brouillard. Au moment du contrôle douanier à Lestelle, le téléphone dédié à la communication des instructions s’est mis à sonner… Le chauffeur ne connait pas la destination finale tant que l’arrivée à destination n’est pas imminente, il est ainsi dans l’incapacité de la révéler aux forces de l’ordre en cas d’arrestation durant le trajet.
Le procureur a «des difficultés à entendre» un prévenu qui se présente comme cherchant à solder ses dettes et assailli de regrets, car les commanditaires au professionnalisme avéré dans la conception et le pilotage de l’opération ont forcément une bonne connaissance et une grande confiance en la personne à qui ils délèguent l’acheminement d’un tel chargement…
Trois ans de prison ferme, interdiction de territoire français, amende douanière 290 000 €
Après avoir salué l’important travail de l’antenne toulousaine de l’OFAST «pour lutter contre cette gangrène de trafic de stupéfiant», le procureur a requis à l’encontre du prévenu 4 années d’emprisonnement accompagnées d’un mandat de dépôt, l’interdiction de territoire français pour une durée de 10 années et il a fait suite à la demande des services douaniers pour une amende de 290 000 € correspondant à la valeur de la marchandise découverte.
Le tribunal a fait suite aux réquisitions du procureur, minorant la peine de prison de 4 à 3 ans, ajoutant la confiscation du fourgon Fiat Ducato au profit des douanes, et la confiscation des autres scellés, à savoir le téléphone du prévenu et l’argent qui était en sa possession (340 €).
A l’énoncé du verdict, l’impassibilité du condamné a semblé se fissurer, et il a quitté le tribunal pour rejoindre la prison.
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Ce mardi 22 novembre était une journée de mobilisation nationale du monde judiciaire. En ouverture de l’audience, la présidente du tribunal correctionnel de Saint Gaudens a lu des passages de la «tribune des 3000» écrite il y a un an, en réaction au suicide d’une jeune magistrate de 29 ans (à la cour d’Appel de Douai) et publiée à l’époque dans le journal Le Monde. Cette tribune avait été signée au mois de décembre 2021 par 4 744 magistrats, 945 greffiers et 436 auditeurs de justice.
En cette fin du mois de novembre 2022, à l’occasion de cette journée de mobilisation, les personnels judiciaires ont dénoncé une situation qui s’est encore «dégradée» depuis un an, avec des fonctions exercées dans «des conditions qui ne sont pas dignes pour eux-mêmes et les justiciables», «une justice au rabais», «le jeu des injonctions contradictoires», et une «perte de sens».
La présidente a déclaré s’associer au mouvement. L’avocat présent a déclaré que le barreau de Toulouse et Saint Gaudens s’associaient aussi pleinement à cette mobilisation.