La crise agricole que traverse la France et nombre de pays européens est le fruit d’un maelstrom politico-administratif et financier dans lequel les dirigeants se perdent et les agriculteurs se noient. A écouter Romain, polyculteur éleveur commingeois, l’on peut être saisi de vertiges face aux difficultés rencontrées et devant la complexité du travail à mener dans tous les domaines.
«Je ne suis pas syndiqué, commence Romain ce vendredi 26 janvier 2024, je ne suis pas aux jeunes agriculteurs, ni à la FNSEA, ni à la Confédération paysanne, ni à la coordination rurale, je suis un agriculteur comme il y en a 80%. Nous voulons travailler et gagner notre vie, c’est tout. Quand je vends une bête ou une tonne de maïs je ne peux pas les vendre à perte».
«Le code rural est énorme, dans les communes même les maires n’en peuvent plus, c’est tout le monde qui n’en peut plus.
Dans le Pas de Calais, comme dans le Comminges, c’est la même chose. Quand on doit curer un fossé, on a des dossiers à monter, mais on ne sait pas si notre fossé est classé comme cours d’eau, ou si c’est un fossé-mère, ou bien un fossé d’évacuation. Si personne ne nous informe on ne peut pas le savoir. Dans le doute, on ne cure plus les fossés de peur d’être traités comme des criminels pollueurs, d’être mis au tribunal, d’avoir 1500 € d’amende. Et cela on peut le transposer à plein de situations».
«Je suis éleveur. Nous avons une nouvelle maladie qui vient d’apparaitre, la MHE (Maladie Hémorragique Epizootique). On ne connait rien de cette maladie. On nous dit qu’on va nous payer 80% des frais vétérinaires, nous rembourser 80% des mortalités. Sur mon exploitation, la vétérinaire a fait cinq prises de sang qui se sont toutes révélées positives à la MHE. J’ai 40 mères, je vais devoir avancer l’argent pour les soigner, mais je ne sais pas quand je serai remboursé. On ne sait pas sur quelle base nous le serons, nous sommes dans le flou le plus total.
Je viens de perdre un veau, il est mort de cette maladie. On va m’indemniser, mais comment? Un veau d’une semaine ce sera 300€. Mais un veau vivant je le vends 1000€ six mois après sa naissance. Ce n’est pas 80% de 300€, mais 80% de 1000€ qu’il faudrait.
J’élève des broutards (veaux jusqu’à moins de 12 mois). Le négociant les vend en Espagne, en Italie, aux Pays-Bas ou au Maroc. Chaque pays a ses propres règles. Les italiens demandent une prise de sang. Cela coûte 21€. J’ai eu onze veaux à vendre, les prises de sang m’auraient coûté 231€. Je n’ai pas fait de prises de sang, j’ai cherché un négociant qui m’a acheté les veaux sans faire de prise de sang. L’Espagne est moins regardante que l’Italie, elle a aussi toujours été moins rémunératrice que l’Italie. Le marché profite de cela pour faire baisser les prix.
Avant, les aides PAC (Politique Agricole Commune) nous étaient payées par la Direction départementale de la Haute Garonne qui s’occupait de gérer les dossiers, de déclencher les paiements. Et là, on a créé l’agence de service de paiement, puis l’agence de service de l’eau, l’agence de la chasse, l’agence de l’environnement…Toutes ces agences embauchent des personnels qu’il faut payer, or le budget n’est pas extensible, et nous nous retrouvons, nous, agriculteurs, avec des enveloppes réduites.
J’ai bénéficié d’une MAEC (Mesures Agroenvironnementales et Climatiques) et j’ai touché 6 000€ par an pendant 5 ans. Je m’étais engagé pendant 5 ans à maintenir mes prairies, j’ai été contrôlé, j’ai respecté le cahier des charges. Avec la réforme de la PAC en 2023, les céréaliers du Lauragais se sont engagés à replanter des haies, les MAEC ont été multipliées. Le budget départemental PAC de 30 millions destiné aux MAEC demeurant inchangé, le Conseil départemental et le Conseil régional ont décidé de favoriser non pas les anciens détenteurs d’une MAEC, mais les nouveaux bénéficiaires. J’aurais voulu faire 5 ans de plus, le Conseil départemental m’a demandé de continuer à respecter les règles sans que je sache si j’allais être payé. J’ai pris ma charrue et j’ai labouré mes prairies pour faire du maïs. Je suis prêt à respecter les normes environnementales, les agriculteurs le font tous les jours. Mais les 6000€ que j’ai perdus, il faut bien que je les récupère quelque part parce que je dois manger et je veux vivre de mon travail, c’est tout».
Au regard des exemples concrets vécus dans leurs fermes par les paysans, on devine que les dispositions annoncées et les engagements pris par le premier ministre Gabriel Attal, ce vendredi 26 janvier à Montastruc de Salies, ne relèvent pas de simples modifications réglementaires. Il va falloir que la logistique administrative suive, sans se laisser encombrer par une bureaucratie foisonnante. Le volontarisme du gouvernement suppose un changement de gestion et de culture pour que les mesures envisagées ne demeurent pas à l’état d’intentions d’actions.
Eric, un autre agriculteur commingeois observe en pointant le cercle des tracteurs qui entoure le rond point du Bazert à Gourdan-Polignan: «il n’y en a pas un qui soit de marque française. Nous ne voulons pas que l’agriculture connaisse en France le même sort que son industrie disparue». Ce samedi après-midi, le rond point du Bazert était toujours occupé par les agriculteurs qui reconnaissaient des avancées de la part du gouvernement, sans se départir d’un scepticisme prudent. D’autant que, parmi les doléances présentées par les agriculteurs à leur ministre, pour soutenir leurs trésoreries fragilisées, figuraient deux propositions importantes à leurs yeux mais non retenues par le gouvernement, à savoir le non versement des cotisations non salariales 2024 à la MSA (Mutualité Sociale Agricole) et le non paiement des intérêts d’emprunt 2024 avec le report des remboursements d’emprunt de cette même année 2024 à la date d’échéance.