Christian De Miegeville, Président de l’Association LUCHON d’ANTAN, reprend la plume, pour la suite de la précédente parution « Le Comminges, Luchon, terre d’accueil, de passage et de partage » :
De par sa situation transfrontalière et de ses cols : Portillon, Venasque, de La Glère, mais aussi Panech ou l’Artiguette, Luchon a toujours eu des relations privilégiées depuis les temps immémoriaux avec ses amis espagnols.
Des communications humaines, de marchandises au pacage des troupeaux, les Pyrénées n’eurent pas de frontières. Pour officialiser ces échanges, des accords furent écrits noir sur blanc dès le 12e siècle. Ces “Lies et Passeries”, conventions établies entre les communautés montagnardes établissant la jouissance des pâturages ainsi que les conditions de circulation des troupeaux, les règles de police et de justice furent toujours respectées même en temps de guerre. https://www.petiterepublique.com/actualites/sud-toulousain/luchon-canton/ Le premier accord écrit dans notre Haut-Comminges le fut au Plan d’Arem près de la frontière au pont du Roi et date de 1513
- La première guerre de succession en Espagne sévit entre 1833 et 1839. De tendance conservatrice, anti libéral et religieuse, cette succession est à l’origine de deux autres guerres civiles qui déchirèrent le pays durant tout le 19e siècle. En défendant la mise sur le trône du frère cadet du roi : Charles de Bourbon (1788-1855), ces guerres prirent le nom de carlisme.
À chaque mouvement de nombreux espagnols passent la frontière et viennent se réfugier en France et notamment à Luchon ou dans les villages environnants. A cette occasion, on voit apparaître sur les actes d’état civil des noms espagnols dans les mariages où les décès.
L’affirmation qui soutiendrait que des carlistes se sont réfugiés à Luchon est fausse.
Le val d’Aran fut « envahi » par quelques bandes d’une quinzaine de partisans seulement lors de la troisième et dernière guerre carliste entre 1872 et 1876. Et ceci pour une raison simple : le pillage des casinos de Bossost, Les et du Portillon. En 1875, devant l’un des casinos du Portillon, quatorze carlistes furent fusillés par les carabinéros. (photo-lithographie).
- L’historien Paul Barrau de Lorde écrivait en 1934 : Les révolutions, depuis plus d’un siècle, ont déchiré la péninsule ibérique. Des luttes fratricides ont contraint des militants, carlistes, républicains ou monarchistes, nationaux ou gouvernementaux, à chercher un refuge sur l’hospitalière terre de France. Et chaque fois, le gouvernement français a pris les mêmes mesures de sauvegarde bienveillante. La surveillance de la frontière assurée aujourd’hui par la garde mobile l’était autrefois par la troupe.
– La lettre du baron Lebenne, Général commandant la Subdivision, à M. le Maire de Luchon, bien que datée du 30 octobre 1833, est toujours d’actualité.
Toulouse, le 30 octobre 1833.
Monsieur le Maire de Luchon, J’ai l’honneur de vous prévenir qu’une compagnie du 34e régiment est partie ce matin pour aller stationner à Bagnères-de-Luchon, jusqu’à nouvel ordre.
Le commandant de cette compagnie aura la mission de prêter main forte pour l’exécution des ordres que vous avez dû recevoir, au sujet des Espagnols provenant des bandes Carlistes qui se réfugient en France, et qui doivent être sur le champ désarmés et envoyés à l’intérieur. Il vous communiquera les instructions que je lui adresse, et je vous serai très obligé de le seconder dans l’exécution de ses devoirs, pour les renseignements qu’il aurait à vous demander.
J’ai tout lieu de penser que vous serez très satisfait de la bonne discipline de cette troupe, et je la recommande à la bienveillance de vos concitoyens et à la vôtre. Veuillez agréer, Monsieur le Maire, l’assurance de ma considération distinguée.
Le Général Commandant la Subdivision, Baron LEBENNE.
– En 1938, plus près de nous, des milliers d’ espagnols fuient la guerre civile et passent en avril les cols enneigés après la prise du haut Aragon par les franquistes.
Comme l’écrit Jean-Paul Durand : “Le passage du port de Venasque en hiver 38, descente périlleuse, fut parfois mortelle. Les Luchonnais qui viennent à la rescousse, tracent un passage, installent des mains courantes. Et l’accueil généreux à Luchon, réconfort, soins, soupe.
J’ai rencontré un jour au Bellevue un vieux monsieur qui avait passé le Port, dans les bras de ses parents, ses doigts commençaient à geler. Émotion, mémoire, respect : « On ne laisse pas un migrant sur le chemin. Pas plus aujourd’hui qu’ hier”.
De nombreux luchonnais, montagnards aguerris, aidèrent les civils (femmes, enfants, vieillards), qui n’étaient pas chaussés correctement pour marcher dans la neige dure de printemps, à passer le Port de la Picade et surtout à les assurer pour la descente dans le vallon de la Fraîche bien enneigé. . » La municipalité luchonnaise et la population rivalisent de générosité. Les malades ont été installés à l’hôpital thermal . Des milliers de sandwichs, du café, du thé, du chocolat ont été distribués.(le Petit Journal, 2 avril 1938). (photos)
Sébastien Rubiella se souvient,
il avait treize ans quand il a vécu cet exil en Mars 1938 dans la neige, le froid, la faim et la peur. Il a parcouru ce chemin avec sa famille depuis Naval, près de Barbastro, emportant quelques maigres affaires. Quand ils sont arrivés à l’Hospice de France, ils ont été accueillis à l’auberge par un feu de bois et des boissons chaudes. Marqué très jeune par ces événements, Sébastien ne retournera pas dans son Espagne natale, il s’établira à Luchon dans les années 40 et y fondera une famille. Le visage creusé par l’émotion, il aura cette phrase forte: « Cette chaleur du feu de bois de l’hospice de France restera en moi jusqu’à ma mort ».
Après avoir été secourus et pris en charge, les autorités françaises les transportèrent en train jusqu’à Marignac. Ils furent vaccinés puis logés à l’usine et envoyés par chemin de fer dans des départements non limitrophes avec l’Espagne, parfois dans des camps. Puis en 1939, c’est La Retirada, nom donné à l’exode massif (4 à 500.000 personnes) et tragique des Républicains espagnols, civils et militaires, après la chute de Barcelone le 26 janvier 1939 et l’avancée des troupes franquistes jusqu’à la frontière avec la France.
- En octobre 2016, à l’Hospice de France, une stèle à la mémoire des réfugiés Républicains Espagnols fut inaugurée. Une cérémonie qui s’est déroulée en présence des élus du territoire, des membres de l’association «Memoria y Exilio» de St-Gaudens et une cinquantaine d’élèves de 3e de la cité scolaire de Luchon. (photo)
- En 1944, puis à la fin des années 1940, une émigration espagnole plus diffuse s’est poursuivie pour des motifs économiques ou politiques, licitement ou clandestinement. Des guérilleros espagnols d’obédience communiste, qui venaient de participer à la résistance française, ont tenté en octobre 1944 une invasion du territoire espagnol à partir du Val d’Aran, imaginant qu’ils allaient déclencher un soulèvement généralisé contre le franquisme. Peine perdue, ils refluèrent en France.
Juanita Santafusta Baqueria écrit : « Merci Luchon tu m’ as reçue en 1945 comme réfugiée. Merci aux luchonnais qui sont mes amis”.
Luchon, terre d’accueil mais aussi de passage :
Des Juifs se sont regroupés, au temps où existait encore une zone non occupée, dans de petits centres montagnards proches de la frontière, par exemple à Luchon où on compte nombre de Juifs étrangers venus de Pologne, de Roumanie, de Hongrie, de Hollande, de Belgique. L’historienne Émilienne Eychenne recense les familles Rosenthal, Waysbaum, Grossmann, Kreustein, Torn, Breber, Hirsch, Zinikowski, Kerjberg, Jellenck, Runfold, Schwarz, Goldstein, Senderovic, Gruber, Nussenblatt, Stern, Brunberg, Rosemberg, Mayer, Lindemann, Krause, Wassermann. Elles forment une véritable communauté où l’on enregistre même douze mariages en 1941 et cinq en 1942.
Alfred Coste-Floret, maire de Luchon, accueille en 1962 quelques familles harkis dont certaines firent souches plus bas dans la vallée.
Enfin, le premier Centre d’ Accueil et d’Orientation de France pour les migrants ouvre à Luchon en 2015 pour accueillir, Soudanais, Afghans, Irakiens, Érythréens sous la mandature de Louis Ferré.
La France, et Luchon en particulier, est une terre bienveillante. Qu’elle soit à droite ou à gauche, la nation n’a jamais abandonné des réfugiés, car ces tragédies humaines sont insupportables.
Il est toujours possible de se rassembler et de s’engager à partager la détresse des enfants, des femmes et des hommes qui ont besoin d’être protégés.
Christian de Miégeville